Amont, l'éternel survivant


Un arlequin quatre étoiles de la chanson d'après-guerre, fantaisiste et populaire. Voilà Marcel Amont. Équilibriste des variétés, compagnon de route et de scène d'Annie Cordy, Philippe Clay, les Frères Jacques, Zizi Jeanmaire ou Dario Moreno. Autant d'interprètes qui n'ont jamais failli mais dont une salonnarde quelque peu faisandée s'obstine à moquer le talent, de son haleine qui corrompt les ondes avant même de souffler sur l'auditeur d'Inter les miasmes délétères d'alcôves où elle eût été bien aise de pouvoir se vautrer.
Aujourd'hui Marcel Amont publie ses souvenirs, qu'il a gardés intacts. Outre le parcours singulier d'un éternel jeune homme né en 1929 que rien ne prédestinait à lier amitié avec ces débutants qu'étaient alors Charles Aznavour, Georges Brassens, Claude Nougaro (ils lui donnèrent respectivement Le chapeau de Mireille, Le Mexicain, Le tango des jumeaux...), sans parler d'Édith Piaf qui, enchantée, n'hésita point à le mettre sur l'affiche de son Olympia 56, ni de Maurice Chevalier, d'Henri Salvador ou de Boris Vian à compter au nombre de ses familiers, le lecteur assiste au fil des pages d'«Il a neigé», comme surfant sur une avalanche, au comeback pathétique de Marguerite Boulc'h, dite Fréhel, méconnaissable et droguée, chantant La Java bleue, saisit la mode des Zazous, rigole en coulisse avec Jacques Brel chez Patachou, zieute Brigitte Bardot se baigner nue dans la Dordogne, avant d'être enseveli par la vague des yé-yé qui mit bien des figures du Music Hall au rancart. «"Trenet est un vieux con, Piaf chante faux, Luis Mariano est une tarlouze maniérée. Et Tino Rossi, c'est quoi? Une marque d'apéritif?» J'ai entendu tout ça. Table rase! Place aux jeunes! Montand a pris le maquis, brillamment réfugié au cinéma. Seul Brassens avait trouvé grâce, parce que Daniel Filipacchi avait dit et répété à Salut les Copains que c'était son chanteur préféré.» La traversée du silence radiophonique s'arrêterait en 1971 grâce au 45 tours L'Amour ça fait passer le temps qui remet Marcel en selle, jusqu'à ce que la victoire des socialistes le placardise, Guy Lux et les Carpentier lui présentant l'addition de son soutien à Tonton. En 1981, avant la présidentielle, Marcel Amont avait enregistré une chanson qui s'intitulait: Ça va changer (Une rose rouge à ton poing)... L'épine.
Dà, un bouquin qui se dévore!


Il y a quelques années, avant de devenir un faiseur de tubes, Vincent Baguian, touché par l'énergie du personnage, comme le furent avant lui Alain Souchon, Maxime Le Forestier, Julien Clerc ou André Popp, lui a offert une chanson qui lui va comme un gant : «J'arriverai pas la mort dans l'âme / En tirant une tête d'enterrement / Surtout qu'au ciel il reste encore quelques femmes / Que j'n'ai pas eues sur Terre faute de temps...» (Ça va swinguer au paradis). Marcel, enregistre-la! Elle aurait mit en joie Brassens et Vian, tes poteaux. Ils ne sont plus tellement nombreux ici-bas ceux qui gagnèrent leur respect. Amont, le toujours fringant survivant.

Baptiste Vignol