L'image, mec!


Toutes les critiques sur BICHON, le nouvel effort de Julien Doré, insistent sur la réussite commerciale du précédent, ERSATZ (2008), qui se serait vendu, assurent-elles, à 300.000 exemplaires. Les journalistes, qui ne prennent même plus la peine de vérifier leurs sources... En vérité, ERSATZ s'est écoulé à 200.000 unités, un score déjà honorable. Alors pourquoi entrer dans le jeu des maisons de disques qui, comme chacun sait, gonflent les chiffres de vente?
Au petit jeu des 5 étoiles pour noter un album de chansons (x = nul, xx = médiocre, xxx = passable, xxxx = bon, xxxxx = très bon), BICHON obtiendrait péniblement 2 étoiles et demi, victime des flottements de son maître car Julien Doré s'engouffre dans des impasses, ne sachant trop sur quel pied chanter, pose et compose, alors qu'il devrait tout axer sur l'interprète qu'il est.
Quand il prend la plume (quatre titres sur l'album, Baie des Anges, BB Baleine, Bleu canard et Bergman), Doré se caricature, enfile dans des textes décousus, sans intrigue ni trame, des poncifs et des références censées lui donner quelque épaisseur, mais nous les brise au final, tellement elles sont prévisibles chez un ancien étudiant des Beaux Arts (Klimt, Picasso, Dali, Schoppenhauer, Bataille et Breton). "Aujourd'hui, c'est très branchouille de dire: “ok, je chante des chansons, mais attention je suis pas con, j'ai lu des livres et j'aime Deleuze. Je trouve ça très casse-couilles" notait Juliette dans Serge (février/mars 2011).
Une question en passant : comment Julien Doré a-t-il osé proposer à Françoise Hardy (et comment a-t-elle pu accepter?) d'interpréter avec lui le grotesque BB Baleine?
Julien Doré complexe un brin sur l'étoffe textuelle des Gainsbourg, Jean Fauque et Katerine, alors il force dans la métaphore, l'association d'idées, d'assonances, et finit par se perdre dans l'emploi abusif de l'adjectif rance! "Une VHS un peu rance" (Bergman) - comment pourrait-elle l'être ?; "Parle-moi de ce rien qui fait que tout est rance" (Glenn Close)... Le petit rien qui pose problème chez Doré, c'est qu'il n'ose pas tout à fait, obsédé par son image, cherchant à dominer l'art du dérapage contrôlé qu'hélas, il ne maîtrise pas...
S'il s'aventure dans d'inédites postures, en l'occurrence un léchage de périnée (ah! les fameuses "rondeurs périnéales" qu'évoquait Nabokov, si peu décrites dans le domaine de la chanson...), c'est sous l'emprise de son idole, Philippe Katerine, qui lui donne un Homosexuel tout droit sorti semble-t-il d'un vieux cahier du Nantais. Ceux qui se souviennent du Katerine période 91-96, quand on croyait poindre en lui un nouveau Fou chantant, le reconnaîtront illico dans cette chansonnette que Doré s'avère incapable de s'approprier. Mais dès lors qu'il est aux commandes, Doré se retient et fait montre d'une consternante pruderie dans Golf Bonjovi par exemple : alors qu'il avait la place de shooter, dans ce morceau sur un mec largué par sa belle : "Il en a une plus grosse que moi", Doré se contente d'un insipide et mollasson "Ouais, il a de plus belles mains que moi." Ouaf, ouaf...
L'image, mec !, qu'il clippe avec adresse, mais au nom de laquelle il se moule et se ratatine dans les normes idiotes du show-biz à la française dont on espérait justement qu'il les contre. Pour expliquer la présence - inutile - d'Yvette Horner ("Elle me met hors nerfs" disait Charles Trenet), que le chanteur salue dans ses "crédits" d'un très parisien "mon” Yvette" (cette maladie qu'ont les gens du spectacle d'accoler devant le prénom de personnes qu'ils connaissent souvent à peine le possessif "mon" un tel, "ma" une telle, comme si elles leur appartenaient), Doré commente dans les Inrockuptibles: "Je voulais un solo d'instrument sur Homosexuel. J'avais déjà utilisé le saxo sur Bergman et la police du bon goût me tournait autour. Parce que vraiment, dans la chanson aujourd'hui, le saxo est banni. Ce solo d'accordéon, c'est un pied de nez." Doré, coincé par la police du bon goût. Le vrai geste de dérision, de liberté, aurait été d'aller au bout de ses idées, et d'utiliser le saxo, même s'il est "banni" par le petit monde des variétés. Benjamin Biolay, qui ne s'encombre pas de telles œillères, a fait du saxophone l'un des instruments phares de LA SUPERBE sans que nul ne s'évanouisse...
Finalement, BICHON est "sauvé" in extremis par les trois chansons d'Armand Melies (Laisse Avril, Vitriol, Glenn Close) qui, elles, tournent rond, l'incendiaire Roubaix mon amour signée Natacha Lejeune, la chanteuse de Oh la la !, et l'extrait Kiss me forever où Doré balance: "Tiens, les clés de la Punto/ L'amour est dans le coffre/ Y a mon disque de Renaud/ Tiens d'ailleurs je te l'offre". Un garçon aussi maniéré qui, en 2011, convoque le souvenir du Chanteur énervant ne peut pas être tout à fait à détestable.
Cinq chansons passables sur treize, c'est pas bézef mais ça n'est pas si mal non plus. C'est mieux que l'autre événement musical de ce début de printemps, JAMAIS SEUL d'Hallyday, l'idole des sexas, fagoté par M et sa clique. Finalement, le meilleur disque sorti à ce jour en 2011 est la réédition du BEVILACQUA de Christophe, un modèle du genre, libéré de toutes contraintes, en apesanteur, paru dans l'indifférence en 1996, introuvable depuis quelques années, remasterisé et à nouveau disponible aujourd'hui.

Baptiste Vignol