C'est la chanson qui le portait.


Gérard Berliner est mort. D'une crise cardiaque. Berliner, c'était Louise bien sûr (#1 du top en août 1982), mais aussi Les amants d'Oradour, Voleur de mamans, Besoin d'accordéon ou Les mémés! D'improbables et saisissantes chansons. Un personnage étonnant, interprète à l'ancienne, théâtral, suffisamment habité pour que Charles Aznavour le produise. Une gueule aussi, une voix d'homme, qui pouvait être de porcelaine. S'il avait fallu (pénible d'employer le plus-que-parfait) concevoir un spectacle, un "tour de chant" aurait-il sûrement corrigé, en hommage à Jacques Brel, dont les chansons sont des chausse-trappes qui en ont piégé plus d'un (souvenons-nous des malavisés Bruel ou Pagny beuglant Amsterdam...), Berliner en aurait été la figure idéale. Il avait l'âge de ces défis... 54 ans.
Quand on lui demandait quelles étaient ses dix chansons préférées, ce fou furieux d'Hugo (sa pièce Mon alter Hugo avait été nommée aux Molières en 2006, catégorie "Meilleur spectacle musical") répondait du tac au tac, en en chantant de larges extraits comme s'il était sur scène, là, au milieu de son salon:
1. Les Vieux amants de Jacques Brel! 2. J’me voyais déjà de Charles Aznavour... 3. Avec le temps de Léo Ferré. Et puis Nantes (Barbara), Il voyage en solitaire (Gérard Manset), En cloque (Renaud), Comme d'habitude (Claude François), Là-bas (Jean-Jacques Goldman), Que reste-t-il de nos amours? (Trenet) et Le temps qui reste de Serge Reggiani.
Que du lourd. C'était ça, Berliner. Un homme à fleur de peau, embrasé par les mots, cultivé, impatient. Un parcours singulier. Il y avait aussi ce récit sur lequel il bûchait, car il lui tenait à cœur, sur son gangster de frère, Bruno, membre éminent du Gang des Postiches. L'aura-t-il rendu à son éditeur?
Se souvenir l'entendre dire, comme ça, à la volée, Le temps qui reste de Reggiani. Il y croyait.

Combien de temps...
Combien de temps encore
,
Des années, des jours, des heures, combien ?

Quand j'y pense, mon coeur bat si fort...
Mon pays c'est la vie.

Combien de temps...

Combien ?


Baptiste Vignol