Faut-il en avoir honte?






















Quand Margot dégrafait son corsage/ Pour donner la gougoutte à son chat…” (Brave Margot, 1953) chantonnait jadis Georges Brassens.
Son génie se manifestait dans l’art de faire sourire et d’émouvoir avec une stupéfiante économie de moyens. La construction de ses chansons, tricotage étonnant de tournures désuètes et d’intrigues insolites, faisait illico son effet : “Et Margot, qu’était simple et très sage,/ Présumait qu’c’était pour voir son chat/ Qu’tous les gars, tous les gars du village/ Étaient là, la la la la la…”
Petits, gros, en poire ou en pomme, compacts, élastiques, lourds, fermes ou remontés, les seins sont l’obsession des fantasmes de l’homme. La langue des dictionnaires, du Larousse au Robert, dispose d’autant d’images pour les dénommer (mamelles, doudounes, obus, roberts, nichons, nénés, nibards, pare-chocs, flotteurs, roploplos…) qu’il existe de modèles déposés. C’est à chacun sa préférence ! À chacune sa consistance. Et ses regrets : “Les autres filles ont de beaux nichons/ Et moi, moi je reste aussi plate qu’un garçon/ Que c’est con!” (Di dou dah, Jane Birkin, 1973).
Quoi de plus sensuel que la courbe d’un sein ? “La pointe de ton sein/ A tracé tendrement/ La ligne de ma chance/ Dans le creux de ma main” (Sanguine, joli fruit, 1953) s'enthousiasmait Yves Montand dans un chef-d’œuvre de Jacques Prévert. Tous les artistes de talent, les amoureux du beau, les assoiffés d’azur, peintres, poètes, sculpteurs, photographes, écrivains et chanteurs, se sont passionnément recueillis sur le pouvoir érotique des seins. Quoi de plus troublant, en effet, que le dessin d’une aréole ? Quoi de plus érotique qu’un mamelon qui se dresse, mûr, dans une eau trop fraîche ? Et Nougaro d’écrire : “Ce poème maladroit, suspect mais succinct/ Je l’enfante comme si j’en étais enceint/ Depuis Nice où tes seins/ Giclaient dans l’or du bassin” (À tes seins, 1967).
Depuis l’apparition tropézienne du monokini en 1964, les estivantes libérées trempent leurs lolos avec insouciance. Combien de poilus sur les plages, allongés sur le ventre – des fois que… -, passent leurs vacances à reluquer, derrière des lunettes noires, les seins des voisines alentour étendues sur le dos dans un bain de soleil ? À n’en avoir jamais assez… “Faut des ballons/ Des cerceaux/ Et les seins de/ Sophie Marceau” (Assez… assez) s’enflammait même Julien Clerc en 1997. Parce que Sophie s’offusqua de l’hommage bienvenu (écrit par David McNeil), Alain Souchon en remit une louche, glorifiant à son tour la symétrie mammaire de l’actrice chérie des Français : “Sans les seins de Sophie Marceau/ Qu’est-ce qu’on fait ?” (Au ras des pâquerettes, 1999).
Ces chansons furent en fait de prémonitoires mélopées puisque Sophie Marceau se retrouva, six ans plus tard, en pleine montée des marches au festival de Cannes, un sein à l’air après qu’une bretelle de sa robe eût lâché ! L’image, séduisante, illustra l’ensemble des gazettes. Et Marianne notait dans son numéro du 21 mai 2005 : “Ce sein soudainement dévoilé nous a permis de vérifier (à notre grand soulagement) que la France reste la France. Rassurant quand on pense au tollé qu’avait soulevé, outre-Atlantique, le téton exhibé par Janet Jackson. Rien que pour cela, merci, Sophie.”
Symboles de l’amour maternel, de la douceur veloutée, du plaisir de sentir, de voir et de toucher, les seins n’évoquent jamais la brutalité. Féminin, insolent, espiègle ou triomphant, le sein est l’emblème du beau sexe, et l’objet de mille publicités. Recouvert, il intrigue, dénudé, il enflamme. D’ailleurs, c’est en reprenant une formule d’André Malraux dans “Les Conquérants” (1929) qu’Alain Souchon concluait: “La vie ne vaut rien/ Mais moi quand je tiens, tiens/ […] Les deux jolis petits seins de mon amie/ Là je dis rien, rien, rien/ Rien ne vaut la vie” (La vie ne vaut rien, 2001).
L’Express du 10 avril 2008 nous apprend qu’en Suède, des femmes militent pour avoir le droit de laisser leur haut aux vestiaires et nager seins nus dans les piscines publiques. Lancé par deux étudiantes suédoises en novembre 2007, le mouvement s’appelle Bara Bröst (Juste les seins) et entend interpeller l’opinion sur la “sexualisation” de la femme dans la société et ses règles établies qui “discriminent le corps” féminin. Pour parvenir à leur but et pouvoir sans honte se baigner comme le font les hommes, autrement dit torse nu, ces féministes organisent des happenings dans les piscines du pays: par petits groupes, des femmes sortent des vestiaires poitrine dénudée et se précipitent à l’eau sous le regard étonné des autres baigneurs. Né dans la petite cité d’Uppsala, le mouvement fait des vagues et vient d’atteindre le Danemark. Ainsi la ville de Copenhague a-t-elle décidé, le 27 mars dernier, que ses piscines municipales seraient désormais ouvertes aux seins nus. “Les hommes devront s’y faire, comme à la plage: il en va de l’égalité entre les sexes” explique Frank Hedegaard, conseiller municipal de gauche, à l’origine du vote.
En définitive, et par les temps qui courent, ne serait-ce pas là une raison supplémentaire d’émigrer vers le nord pour aller “vivre", comme le suggèrent les Fatals Picards, "dans une super social-/ Démocratie à la suédoise” (Non, rien ne pourra, 2005) ?

Baptiste Vignol