Y a d’la samba dans l’air

«Le Che n’a jamais cherché à dissimuler sa cruauté. Bien au contraire. Plus on sollicitait sa compassion, plus il se montrait cruel. Il était complètement dévoué à son utopie. La révolution exigeait qu’il tue, il tuait; elle demandait qu’il mente, il mentait.»
Javier Arzuaga, aumônier de la prison de la Cabaña (Cuba) dont Che Guevara fut le directeur en 1959.



« Adieu Gary Cooper, adieu Che Guevara/ On se fait des idoles pour planquer nos moignons/ […] Et nous sommes prisonniers de nos regards bidon » (713705 cherche futur, 1982) constate Hubert-Félix Thiéfaine qui ne se berce pas d’illusions…
Voilà quarante ans aujourd’hui qu’Ernesto Guevara est tombé au combat.
C’est en découvrant la misère des mineurs de cuivre de la Braden Company au Chili, lors d’un voyage de sept mois à travers l’Amérique latine, que ce jeune médecin argentin, épris de poésie et de philosophie, décide de se vouer à la lutte politique, convaincu que l’avenir du monde passe par le socialisme : « J’ai juré de ne jamais m’arrêter avant de voir ces poulpes capitalistes exterminés. Je me rends au Guatemala pour devenir un révolutionnaire authentique » écrit-il à sa tante. Il a alors vingt-trois ans et pense que la lutte armée est l’unique solution pour se libérer de l’impérialisme « Yanki ».
Après avoir délivré Cuba du tyran Batista en janvier 59, après avoir travaillé à la consolidation du nouveau gouvernement, parcouru la planète en tant qu’ambassadeur itinérant pour nouer des relations économiques avec d’autres pays, l’alter ego de Fidel Castro abandonne le pouvoir pour reprendre le maquis, au Congo d’abord, puis en Bolivie, avec la volonté d’y allumer de nouveaux Viêt-Nam, d'embraser ces continents pour les libérer du joug des États-Unis…
C’est au fond d’un canyon bolivien, où il se terrait, affamé, avec une quinzaine de guérilleros, qu’il se fait arrêter par la CIA, le 8 octobre 1967, avant d’être sommairement abattu le lendemain. « Allongé, les yeux grands ouverts / À l’hôpital de Vallegrande / Chemise déchirée […] quatre balles, les poumons percés, /[…] Cet insomniaque pulmonaire / A toujours cet air inspiré… » (La mort du Che, 2004) écrit Bernard Lavilliers pour dépeindre le cadavre du héros, exposé dans une morgue improvisée où des centaines de Boliviens défilent pour lui rendre hommage.
Que reste-t-il du condottiere en 2007 ?
Une photo d’abord, d’Alberto Korda. On y voit Guevara coiffé d’un béret à étoile. Ce portrait orne aujourd’hui des millions de T-shirts.
Un surnom, ensuite : le Che, comme des cubains castristes l’avaient surnommé ; che étant une interjection familière du parler argentin, l'équivalent de hombre en espagnol. Le Che, c'est le Mec.
Et des dizaines de chansons… La plus connue,
Hasta siempre, ayant été écrite en 1965 par le cubain Carlos Puebla.
Deux ans plus tard, de retour de Cuba, Jean Ferrat enregistre un 33 tours militant où il justifie la Révolution. « Cent millions de métis / Savent de quel côté / Se trouve la justice / Comme la dignité » (Les guérilleros, 1967). Il y glorifie notamment le combat des guérilleros : « Avec leurs barbes noires/ Leurs fusils démodés/ […] Ils ont pris le parti / De vivre pour demain / […] Les armes à la main. » Le Che vient d’être exécuté, et le chanteur proclame : « Le nom des sierras / De tout un continent / Rime avec Guevara… ».
Que sait-on aujourd’hui des guérillas (« La guérilla, c’est la guerre du peuple dans son entier contre l’oppresseur » disait Guevara) ? De la lutte des peuples contre l’impérialisme nord-américain ? Se souvient-on que les dictatures fleurissaient jadis en Amérique latine et qu’elles étaient soutenues par Washington ? À l’ère de la globalisation, l’Amérique de Che n’existe plus. Tous ses chefs d’État, y compris les plus virulents, respectent l’économie de marché, même s’ils prétendent la réguler par la politique.
La jeunesse bourgeoise qui porte sur sa poitrine le visage de Che Guevara n’a plus la moindre idée de ce qu’est la Révolution… Gagnée par l’obésité, Internet et le consensus, elle n’a du barbudo qu’une simpliste image du martyr. Che Guevara, c’est un t-shirt, un poster, une idole quasi rock’n’roll (« Sur les murs sans joie / De ce pauvre boui-boui / Y avait Che Guevara / Les Pink Floyd et Johnny » Germaine, Renaud, 1977) ; une preuve indélébile d’attitude vaguement rebelle (« T’en fais pas, Papa, mon amoureux tu l’aim’ras / Il a tatoué Guevara sur le bras », Mon amoureux, Renaud, 1994) ; une image fourre-tout déclinable à l’envie : « T’es mon Thema, mon clip des clips / Mon JT, mon Michel Drucker / Mon che Chevara, mon Œdipe » (Toi pour moi, Clarika, 2005). Une gueule d’ange à béret, un guérillero romantique.
Un ouvrage récent, « La face cachée du Che », démystifie l’icône de la révolution cubaine. Présenté comme un tortionnaire stalinien, froid, rigide, imbu et arrogant, on y apprend que le Che tuait comme on avale un verre d’eau. À qui fera-t-on croire qu’Ernesto Guevara était un saint ? Si la cause pour laquelle il se battait était belle, les moyens qu’il se donnait pour la défendre étaient inhumains. Au nom de l’idéal, il tirait sans pitié. « Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre / Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui » (Le Bilan, 1980) chanta plus tard Jean Ferrat en évoquant les millions de morts victimes du communisme. « C'est un autre avenir qu'il faut qu'on réinvente » suggère-t-il alors, « Sans idole ou modèle, pas à pas, humblement / Sans vérité tracée, sans lendemains qui chantent / […] Un avenir naissant d'un peu moins de souffrance. » (Le Bilan)
À l’heure où des populations périssent à cause de notre modèle économique mondial - tandis que d’autres se dandinent en écoutant leur i-pod...; à l’heure où l’échauffement du climat permet d’envisager froidement la fin de l’humanité ; ne devrions-nous pas changer enfin de développement, enclencher un partage équitable des richesses et protéger notre environnement ?
Voilà ce que pourrait être la Révolution du XXIe siècle, puisque l’avenir passera par là. Sans quoi «
Le quart monde / Dira aussi « Basta » / À la misère du monde» et entonnera : « Viva Che Guevara ! Zapata ! Pancho Villa ! Pour eux la mort / Pour nous la samba ! » (Adios Zapata, Renaud, 1994).

Baptiste Vignol