Son plus beau depuis ÇA S'PEUT PAS

Trente et un ans après J’ATTENDRAI PAS CENT ANS (1993), Clarika sort DANSE ENCORE, son neuvième album studio dont elle habille pour la première fois ses paroles de musiques dont elle est la compositrice. Douze chansons qui s’élancent, s’étreignent, ricochent et se suivent comme une caresse qui n’en finit pas. Manquer à quelqu’un quelque part fait songer à Jean-Philippe Toussaint quand il écrit sur Marie. Ce jour-là (17 octobre 61) impose le silence : «Sous le pont Saint-Michel / Coule coule la haine / Et le sang sur vos mains / Il faut qu'on s'en souvienne / Est à jamais l'écrin / Des larmes de la Seine ». Isadora revient sur le destin tragique de la danseuse Isadora Ducan. Sans les nuages pleure l’ennui des existences par trop lacustres. Rhabillez-moi ressuscite Gréco, pour de faux. Avec Salut Luc, Clarika adresse une missive au Luc (Avec Luc) du CD ÇA S’PEUT PAS (1996) dans la 4L duquel elle lui contait ses peines de cœur « avec Marc »… Luc, dont elle n’a plus de nouvelles. Luc, qu’elle voudrait revoir. La force de Clarika, c’est qu’elle nous parle de nous dans ses chansons. Du temps qui passe, sépare et que nous laissons faire. Et ce morceau rappelle le Renaud des années Souchon période C’EST COMME VOUS VOULEZ, voyez? Enfin, Seule la mort, froide et dure comme du marbre (« la mort, mais quelle tuerie! »), s’achève par cette image, sublime, et fascinante, parce qu’elle la rend presque accueillante: « Et si la mort a un visage, / Je veux Delon dans La Piscine / M’entrainant pour l’ultime nage / En eaux marines… »

Baptiste Vignol
 
 

Murat, l'inchantable

Dans Le Figaro du 12 mai, Olivier Nuc consacrait une pleine page à Jean-Louis Murat, un an moins douze jours après sa mort. Nous fûmes alors, le 24 mai 2023, quelques milliers qui, sans le connaître personnellement, subirent l'épouvantable sentiment de perdre un ami. Un ami parce qu'il était le seul en France à chanter, dire, dépeindre avec tant de justesse, de finesse et de féminité nos émois amoureux, nos élans, nos défaites les plus intimes. Guère étonnant que Nuc s'émeuve encore de cette disparition, lui qui l'avait mainte fois interviewé, et qui fut le seul journaliste de la presse nationale à s'être déplacé le 30 mai à ses funérailles en la basilique d'Orcival. Journée d'un silence stupéfait, ensoleillée, mais d'une tristesse plombante, avec, dans la nef, ce cercueil de bois clair posé sur un sol en pierre de volvic. C'est Murat qu'on enterrait, cet ami dont on attendait encore tant. Après la messe, la foule, hébétée, regarda sortir le cercueil pour son dernier voyage. Et puisque c'était un ami que nous venions tous de pleurer, alors que nous ne nous connaissions que de loin, Nuc et moi (qui n'avais jamais rencontré Murat, mais vu tant et tant) nous prîmes fraternellement dans les bras... Dans Le Figaro, Nuc rappelle que Murat est une figure majeure de la scène française de ces trente dernières années. C'est indéniable. Tant ses chansons racées, duveteuses, volcaniques, lumineuses étaient portées par une voix unique, fiévreuse, sensuelle, ourlée d'un léger accent puy-de-dômois qui lui conférait quelque chose d'aérien, de lancinant. L'une des deux ou trois plus belles voix masculines de l'histoire de la chanson française, définitivement. Raison pour laquelle reprendre du Murat, quand on est un homme, c'est "jeter une orange sur l'astre mort" et se montrer très, très en dessous de l'original car ses mots, sa poésie étaient taillées pour resplendir dans cette voix-là, ce groove et son humide profondeur. S'il devait un jour y avoir hommage discographique, prions pour qu'il ne réunisse que des chanteuses. Au premier rang desquelles Morgane Imbeaud dont Nuc évoque aussi le bel album, THE LAKE, où l'on trouve une chanson, Seule, qui rappelle en tous points celui qui fut son mentor.

Baptiste Vignol