Les chansons de William Sheller, parce qu'elles sont d'abord portées par sa voix, cette voix si singulière, oblongue et caoutchouteuse, peuvent-elles trouver dans des reprises matière à jubilation ? Possible, à condition d'être chantées par des interprètes féminines sachant les enrober d'une sensibilité inédite à laquelle les hommes ne peuvent pas prétendre, pâtissant forcément de l'inévitable comparaison avec le phrasé de leur créateur. Compliqué et terriblement casse-gueule pour un chanteur de s'approprier les chefs-d'œuvre de ses maîtres lorsqu'ils s'appellent William Sheller, Jacques Brel, Bashung, Christophe ou Serge Gainsbourg tant leurs voix, leur art de l'interprétation, les ont sublimés. Idem pour une chanteuse s'attaquant aux joyaux d'Édith Piaf, de Barbara (dont Sheller sut parfaitement rendre le doux romantisme de Vienne) ou de Véronique Sanson. Question de genre, donc, et de contexte. Car le live, dans l'insaisissable magie de l'instant, de l'instant qui s'écoule dans sa fragilité, se prête davantage à cette alchimie de l'appropriation que le cadre prévisible et rassurant du studio d'enregistrement. La raison sans doute pour laquelle l'une des plus belles reprises de la chanson française est la version d'Avec le temps que Jane Birkin accomplit en public et sans filet sur la scène du Bataclan. Une version suspendue, libellulesque, miraculeusement captée en 1987. Les très grandes chansons ne sont pas des chaussettes qu'on enfile impunément. Il faut pouvoir et savoir s'y glisser, de toute son âme, sans certitude aucune. Un art majeur.
Baptiste Vignol