«Si, au cours d'un dîner, quelqu'un met Vincent Delerm, il se prend une assiette dans la gueule.» Mais de qui peut donc venir pareille vacherie qui, soit dit en passant, n'offenserait personne si elle visait Michel Sardou ou Didier Barbelivien? De Benjamin Biolay? Perdu. D'un Auvergnat bien sûr portant le nom de Murat et dont, depuis quelques lustres, le doux visage respire la franchise nette et brutale. «Pour un bon mot, je suis prêt à déclencher une guerre mondiale!» aurait-il d'ailleurs déclaré. Un petit livre de Sébastien Bataille, «Coups de tête» (200 pages, dont 110 de biographie, 30 consacrées à l'abondante discographie du chanteur et 50 à ses «meilleures» saillies), révèle qu'à la fin des années 90, Jean-Louis Murat, piqué par le service promotionnel de sa maison de disque qui lui expliquait son peu d'écho médiatique par le caractère trop lisse de ses interviews, aurait décidé que - puisqu'il faut assurer le show, autant y aller franco!- dorénavant ses apparitions feraient le Zapping. «Ne mentez pas, préface Dominique A, si vous êtes friand des interviews de Murat, vous jubilez quand l'heure du dézingage a sonné. Je suis comme vous. C'est éventuellement moins drôle quand vous êtes directement concerné. Il sait viser comme personne. Pas évident de se relever après la première salve, un peu plus à la deuxième, et après, on s'habitue.»
Loin d'aborder Murat par sa poésie, «Coups de tête» s'attache d'abord à mettre un peu d'ordre dans la chronologie de son existence, présentant l'homme tel qu'il se montre à la télévision, naturel, sûr de sa grande intelligence, traînant des blessures de jeunesse et d'artiste débutant comme autant d'humiliations qui expliqueraient son aversion pour le showbiz. À Saint-Tropez, alors qu'il servait dans un restaurant, Murat tache d'une goutte d'huile le pantalon d'Aznavour. Fou de colère, la star aurait convoqué le patron ordonnant: «
Vous me le virez immédiatement celui-là!» Quelques anecdotes de ce genre pimentent un récit qui rappelle aussi qu'adolescent, le collégien Jean-Louis Bergheaud (ce qui signifie «berger» en patois auvergnat), grâce à son professeur d'anglais, dina à la même table que John Lee Hooker après un concert du blues-man à l'opéra de Clermont-Ferrand. Ou bien encore que fin août 70, il se rendit en stop à l'île de Wight pour voir les Doors, Jimi Hendrix, Miles Davis, Leonard Cohen ou les Who… Il venait d'avoir dix-huit ans.
(Jean-Louis Murat / PASSIONS PRIVÉES / Pathé / Photographie: Bettina Rheims)
Hormis une erreur grossière page 67 où Bataille affirme qu'«après vérification», Murat, contrairement à ce qu'il affirmait dans une interview, n'a jamais été photographié par Bettina Rheims… (si, si, pour illustrer le 33 tours PASSIONS PRIVÉES en 1984); exceptée l'inutile quinzaine de pages pleines de souvenirs aigris d'un certain Jean-Bernard Hebey; mise à part la conclusion du bouquin qui patauge un peu dans le parcours professionnel de Laure, l'épouse de Murat, cet ouvrage qui s'avale en deux heures ne devrait pas trop fâcher le chanteur tant il souligne la majesté d'une Œuvre «dont le nombre de réussites impressionne» précise aussi Dominique A et qui, Bataille le rappelle, s'est longtemps très correctement vendue: jusqu'à TAORMINA (2006), chacun des dix premiers disques de Murat s'écoulait au minimum à 70.000 exemplaires, CHEYENNE AUTUMN (1989) et LE MANTEAU DE PLUIE (1991) dépassant même allègrement le cap des 100.000. Aujourd'hui, alors qu'on ne trouve même plus de disques à la Fnac, BABEL, son dernier, a séduit plus de 20.000 acheteurs en trois mois de commercialisation. Dix fois plus que L'AVENTURA de Sébastien Tellier qui date de mai 2014. Par exemple.
Baptiste Vignol