La chanson compte-t-elle artiste à la discographie plus impressionnante que celle de Françoise Hardy? Depuis 1962, elle incarne jusqu'à Buenos Aires ou Tokyo l'élégance française. Son vingt-septième album figure parmi ses meilleurs. La plus respectée des chanteuses européennes répond ici à quelques questions naïves nées pendant l'écoute des 10 morceaux qui composent
L'AMOUR FOU.
La première chanson, L'Amour Fou (2'29), comporte des parties parlées. L'envie de vous entendre lire! Pourrait-on imaginer que vous sortiez votre roman, "L'Amour fou", en livre audio et que ce soit vous qui le disiez?
Françoise Hardy - On vient de m'adresser une demande en ce sens. J'hésite beaucoup...
Cette chanson très intrigante a-t-elle pris sa source dans un film, un roman?
- Pas particulièrement mais j'étais sans nul doute influencée par la littérature anglaise du dix-neuvième siècle dont je ne me lasse pas.
De quoi s'inspire la deuxième plage du disque, Les Fous de Bassan (3'48)?
- De faits divers comme celui de la petite Laëtitia [jeune femme de 18 ans retrouvée morte étranglée dans un étang entre Nantes et Saint-Nazaire en janvier 2011]. Peu avant de m'attaquer à cette mélodie, j'avais vu un documentaire sur la mer du Nord avec ces oiseaux, les Fous de Bassan, que je ne connaissais pas et qui m'ont fait horreur. Je les ai donc utilisés comme un symbole de ce qui est effrayant et repoussant sur terre.
Pourriez-vous faire un zoom sur l'héroïne de Mal au cœur (3'09)?
- C'est un texte autobiographique d'une femme âgée qui se trouve à l'hôpital aux portes de la mort et perd un peu la raison : elle confond le passé et le présent, le rêve et la réalité... Elle a peur aussi et tente de se raccrocher au médecin et à la religieuse qui viennent la voir...
«Lorsque je vous vois, je tressaille: / C'est ma joie et c'est mon souci.» Des millions d'amoureux se reconnaîtront dans ces deux vers. Comment Si vous n'avez rien à me dire (3'44), poème de Victor Hugo idéalement mis en musique par Bertrand Pierre, vous est-il parvenu?
- À de rares exceptions près (quelques poèmes de Musset, Verlaine, Baudelaire), la poésie ne me touche pas ni ne m'intéresse. Je n'en lis jamais. Je préfère de loin les grands textes de chansons. C'est Bertrand Pierre lui-même qui m'a envoyé cette chanson dans sa propre version enregistrée. J'ai horreur en général des albums de poèmes mis en musique, et ne connais pas le sien. Malgré quelques images très inspirées, la poésie de Victor Hugo ne m'a jamais intéressée, encore moins ses pièces et ses romans. Même le personnage, beaucoup trop prolifique, ne m'attire pas. Mais à cause de son extrême simplicité, ce poème est justement beaucoup plus proche d'un texte de chanson que d'un poème et la musique de Bertrand Pierre le met en valeur.
L'honnêteté oblige à dire la vérité. Normandia (4'56) pâtit de paroles qui ne sont pas à votre hauteur. «L'encre bleue des amants »... Vous qui êtes capable de dureté dans vos jugements, auriez-vous trop de tendresse pour Julien Doré pour avoir eu envie de revoir son texte?
- Julien Doré a un style près particulier, une écriture et un univers très personnels, bien plus lyriques, poétiques, originaux que les miens. Je suis précise, concise, logique, et on m'a souvent reproché de manquer d'imagination, ce qui est tout à fait vrai, et c'est pourquoi j'ai trouvé préférable d'emprunter celle, insaisissable et parfois fantasque, de Julien Doré. Mais Julien Clerc qui a chanté les textes lyriques et tout aussi étranges de Roda-Gil aurait sans doute été un meilleur interprète que moi, encore que je sois enchantée du résultat final et ne regrette rien, bien au contraire.
«Dernier bis / Dernier rappel»... L'intro de Piano bar (3'29) fait sourire quand on sait que vous n'êtes plus montée sur scène depuis 1968. Vous qui êtes cinéphile, quel visage d'acteur pourrions-nous mettre sur l'«ange tombé du ciel» dont vous parlez ici?
- Alain Delon, Jacques Dutronc, David Bowie ou Mick Jagger jeunes.
Puisque nous évoquons la scène, y a-t-il un concert que vous ayez donné et dont vous gardez un souvenir magnifique, de communion avec le public?
- Non. Car même quand on a cette impression, elle s'avère en général n'être qu'une illusion très subjective. Comme en amour où ce qu'éprouve l'un est la plupart du temps à des années-lumière de ce qu'éprouve l'autre - sauf qu'aucun des deux n'en a une conscience suffisante.
Vous êtes nominée aux Victoires de la Musique...
- Je ne m'y attendais pas et cela m'a fait très plaisir, car l'appréciation des gens du métier m'importe tout autant que celle du public. Et bien sûr la perspective de me retrouver à cette cérémonie avec mon grand Tom dont le spectacle est tellement génial m'emplit de joie.
Parmi les artistes nominées avec vous, laquelle aurait votre préférence?
- Céline Dion pour la voix, Lou Doillon pour le charisme et l'intelligence, la Grande Sophie pour son talent de mélodiste, d'auteur et de réalisatrice.
Revenons à L'AMOUR FOU. Ceux qui connaissent la Chanson apprécient Guy Béart, ils ont donc vu le lien entre Pourquoi vous (3'31) et Vous, ce bijou qu'il avait enregistrée en 1958. Est-il au courant?
- Il n'est pas au courant. Ce n'est pas quelqu'un qui humainement m'intéresse et je ne lui ai donc rien envoyé. J'ai simplement découvert assez récemment un document où je chantais sa chanson en live [pour le voir, cliquer
ici] - il y a des années de ça. Ce qui me l'a remise en mémoire.
«Mieux valent les miettes qu'il lui laisse...» (Soie et fourrures, 3'33) Aviez-vous déjà de la sorte décrit la solitude dans tout ce qu'elle a d'insupportable?
- Sûrement, oui. La solitude est le prix à payer pour la liberté et l'indépendance. Mais la solitude subie n'est pas la même que la solitude voulue, même si l'on est toujours inconsciemment complice des situations dont on se plaint.
Dans L'Enfer et le Paradis (4'05), vous employez le vousoiement pour vous adresser à l'être aimé...
-Vous sonne mieux que tu.
Qu'il est agréable enfin de vous entendre à nouveau accompagnée d'une guitare! Qui est François Maurin, le compositeur de Rendez-vous dans une autre vie(3'51)?
- Un jeune musicien qui a eu un groupe dont j'ai oublié le nom. La mélodie m'avait été envoyée par Virgin il y a plusieurs années mais le moment n'était pas venu pour moi d'écrire un texte dessus.
Dites, ce ne sera pas la dernière chanson de votre répertoire?
- Comment savoir?
(entretien Baptiste Vignol)