À l'automne revenant


 

Voix chaude et familière, délices des intonations, textes impeccables, tournures stylisées, musiques azurées qui soufflent comme une brise du sud, un murmure de rivière. Francis Cabrel se déploie. À l’automne revenant. Et le tout parachève, après quarante-trois ans de carrière, une œuvre cathédralesque. Depuis C’est écrit en 1989, Cabrel est le chanteur français qui a le mieux dépeint l’amour vaste et ses incendies, ses envols, ses blessures, avec un sens du détail dans la narration qui n’appartient qu’à lui. S’il fut trop longtemps «cantonné» par la critique amère aux rêveries romantiques que furent ses premiers succès, Petite Marie, Je l’aime à mourir et L’encre de tes yeux, Cabrel a signé bien des sommets d'écriture qui l'auront consacré. La robe et l’échelle en 2008, À chaque amour que nous ferons sept ans plus tard, ayant même tamisé la chanson populaire d'une sensualité, d’un clair-obscur, bref d’un érotisme dont elle manquait. Dans son quatorzième album sorti le 16 octobre 2020, Francis Cabrel dévoile une nouvelle splendeur absolue, À l’aube revenant, qui scrute en profondeur, avec une minutie brélienne, comme un ciel où l’on n’ose croire que l’orage s’éloigne, la trajectoire déchirante d’amants que leurs vies contraignent: «Ils étaient deux passants / Dans l'anonyme foule / Dans ce fleuve qui roule / Dans la masse des gens / Ils se sont reconnus / Un peu trop tard peut être / Mais c'est se reconnaitre / En vrai qui est important…» Après cinq années de silence, le poète est revenu, immense, dans sa tranquillité.

Baptiste Vignol

 

 

Au travers des mots

Du verbe jaillit le rythme et du style flamboie le propos. Jeanne Cherhal fait feu de tout mot. Avec justesse, couleur et netteté. Son recueil, À cinq ans, je suis devenue terre à terre, paru chez Points, se découvre avec une attention pareille à celle qui nous transporte lorsqu’on observe à la loupe la poudre d’écaille sur l’aile d’un papillon. On y trouve des motifs et des soleils qu’on ne voit pas. Ici l’ombre d’un père dont on devine qu’il est l’architrave d’une moralité où l’artiste puise l'essence de son œuvre. Et là, des mots disséqués, lettre par lettre, afin d'en examiner le battement : «Un S qui promet en ondulant doucement, un E modeste et délicat posé là comme une plume de paon, un X explosif qui envoie tout en l’air et un Y débridé qui s’allonge en finale gracieuse sur le bas-côté, repu.» Avez-vous dit «sexy»? Plus loin, des descriptions riches et précises (le mot «Scène» est un modèle de peinture), des notes d’humour, salées et des envies d’infini : «Un bain de mer c’est charmant et plein de poésie, c’est sain, revigorant, recommandé, ça clapote et ça barbote, alors qu’on ne prend pas un bain dans l’océan. Dans l’océan on plonge. On navigue, on fend les flots. On n’est pas là pour faire des trempettes.» Mais également céans, en embuscade, au fil des cent-quarante-sept pages du glossaire, des expressions exotiques, des explosions de lave, des silences incertains, des maux de femme, des mots de luttes, d'émoi, d'amour et d’absolu, dont un «sans synonyme» («Suicide»), qui font l’éclat discret d'un autoportrait en quarante pièces détachées. Du cristal d’Islande.

Baptiste Vignol