L’écrivain Bernard Morlino tient un blog passionnant pour qui aime le football et la littérature. Tout lecteur quelque peu fureteur découvrant d’aventure sa plume acérée se laissera séduire par les envolées de l’auteur, son art de la comparaison, l’ardeur de ses indignations, l’innocence de ses émois, ses coups de pieds au cul (de Jean-Michel Larqué notamment), son incroyable mauvaise foi (à l’encontre de Michel Platini par exemple), ses allégories aussi lumineuses qu’une ouverture de Platini justement, aussi chevaleresques qu’une course de Maradona, aussi tranchantes qu’un dribble d’Éric Cantona, aussi diaboliques que le pied gauche de Puskas, aussi fulgurantes qu’une accélération de Yohan Cruijff. Rien d’étonnant à ce que les développements de Bernard Morlino soient pétris de références, de citations poétiques, de réflexions philosophiques, d’interrogations politiques puisque le football, affirme-t-il, c’est de la littérature en plein air.
On apprend, par exemple, entre un éloge à Di Stéfano et un plaidoyer pour le gallois Ryan Giggs, que Louis Nucera (qui n’était pas footballeur comme chacun sait, mais cycliste), à qui Morlino consacra un récit, “Louis Nucéra, achevé d’imprimer” (2001), lui avait confié, en parlant de Pierre Perret: "“
Tu sais, Bernard, avec Georges [Brassens], on n’a jamais cru que Perret ait vu une seule fois Léautaud”".
Et Louis de m’expliquer: Léautaud notait tout dans son journal, Perret n’y apparaît jamais.”" Car Morlino, qui aime la chanson – et Astor Piazzolla, approuve la démarche de la journaliste Sophie Delassein qui mettait à jour récemment dans le
Nouvel Observateur la mythomanie du chanteur, soulignant le mérite de cette enquête tapageuse pour l’éthique d’une esthétique chansonnière.
Mais revenons au gazon cru des pelouses sportives. L’équipe de France a perdu avant-hier, 11 février 2009, un match de football contre l’Argentine. Les “
muchachos” qu’elle affrontait semblaient galvanisés par leur nouvel entraîneur, Diego Armando Maradona (quel nom tout de même!), à qui, visiblement, comme l’a noté un jeune spectateur marseillais sur l’antenne d’Info Sport, “ils voulaient faire honneur”. Difficile en effet de vouloir être digne du sélectionneur tricolore, l’insipide Raymond Domenech, dont Morlino détaille à coups de paragraphes hilarants tout le bien qu’il pense. Mis à part Estelle Denis (mais l’amour a ses raisons…), Franck Ribéry et Jean-Pierre Escalette, qui peut donc encore se réjouir des bavardages de Raymond Domenech? Lui qui a décidé d’évincer David Trezeguet, le plus français des Argentins, quand Maradona en aurait probablement fait l’une de ses pièces maîtresses…
Mais revenons au plus christique des joueurs de football. Maradona, donc. Sur son blog, Morlino dit tout
del Pibe de oro. La passion qu’il suscite encore quinze ans après sa retraite, lui, le seul sportif dont on pourrait se tatouer le portrait sans crainte du ridicule. Quel autre visage de footballeur (à part celui de George Best) pourrait-on ainsi arborer ? Celui de Philippe Fargeon. Je plaisante. Aucun. Pas même ceux de Pelé, d’Éric Cantona ou de Chris Waddle.
L’image de Maradona, sa légende, ses errances, ont quelque chose d’universel. Voilà pourquoi la variété s’en est emparé. Car ce nom revient dans plusieurs chansons. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent s’en vanter. Michel Platini (cf. “Comparer n’est pas raison” posté sur cette page en octobre 2007), Éric Cantona (cf. “Melancholy of Cantona”, juillet 2008) et Diego Armando Maradona.
“
Il a tes yeux, Maradona/ Et tes cheveux, Maradona/ Quand je le vois, Maradona/ Je sais déjà/ Qu’il sera un champion comme toi” (
Maradona) psalmodiait Linda de Souza en 1986 dans une chanson sur l’amour d’une mère pour un gamin qui voulait tant ressembler au numéro 10 argentin. En 1994, alors que le football venait de sombrer dans le monde des affaires, la Mano Negra suppliait: “
Berlusconi, Bez et Tapie ont bien compris/ L'heure est aux choux gras.../ Et aux bourreaux des tibias/ Santa Maradona, priez pour moi!” (
Santa Maradona, 1994). Douze ans plus tard, le chanteur Riké admettait ne s’être toujours pas remis d’un chef-d’œuvre de Maradona : “
Un ballon qui roule/ […] Mes potes et moi sur un bout d’champ/[…] Je suis le Pibe de oro/ J’prends mon envol à Mexico” (
Je vole). Cette chevauchée fantastique où, lors du Mundial Mexicain de 1986,
el Diez (un autre de ses surnoms) traversa le terrain pour crucifier les Anglais n’a rien perdu de son pouvoir émotionnel. Un homme, seul, un prestidigitateur, qui mystifie une équipe médusée. Inoubliable. Nul doute qu’en 2020, on chantera encore les exploits de Maradona – quand le nom de Raymond Domenech sera effacé de toutes les mémoires. Pourquoi ? Parce que la vie de Dieguito (encore un surnom) tutoie l’épopée. “
Si yo fuera Maradona/ Viviria como el” (
La vida tombola, 2007) assure Manu Chao. Tout est dit. Une idole à laquelle on s’identifie. Un homme libre, avec ses contradictions. Un symbole romantique, aux airs de guérillero. Qui inspire le respect aux jeunes du monde entier.
Les surnoms (la Panthère noire pour Eusebio, le Divin chauve pour Di Stéfano,
Alegria do povo – joie du peuple – pour Garrincha, le Hollandais volant pour Cruijff, le
Kaiser pour Beckenbauer,
Mighty mouse pour Keegan,
el Matador pour Kempes, le Pelé blanc pour Zico, Platoche pour Platini – le Roi Michel en Italie, Éric
the King pour Cantona, JPP pour Papin,
Mister George pour Weah, le Maradona des Carpates pour Hagi, le Président pour Laurent Blanc, Zizou pour Zidane, Trezegol pour Trézéguet…) se gagnent à coups d’exploits qui vous valent parfois d’être fêté en chansons. Elles témoignent de la persistance des héros populaires dans l’inconscient collectif. Alors, quel surnom pour Domenech qui ne fasse point d’ombre au Duc Amédée du glorieux XV de France d’antan? Il faudrait interroger Bernard Morlino. À moins que Pierrot de Castelsarrasin n’embouche son mirliton…
Baptiste Vignol
Le blog de Bernard Morlino