La critique a tôt dit que Benjamin Biolay avait la tête farcie de Gainsbourg, mais il lui démontre aujourd'hui qu'il a d'abord Charles Trenet dans le ventre. Outre une pochette hideuse (comment avoir envie d'acheter ce disque-là quand on ne sait pas ce qui s'y cache?), l'initiative de Biolay (sublimes versions de
Coin de rue, de
La romance de Paris...) est ce qui s'est fait de mieux dans le genre depuis
L'EXTRAORDINAIRE JARDIN DE CHARLES TRENET enregistré par Steve Beresford en 1988 (d'ailleurs, comme l'Anglais qui avait clos son hommage par un titre original,
Apprenez le français avec Charles Trenet, l'enfant de Villefranche-sur-Saône propose en conclusion de son recueil une gentille révérence:
La chanson du faussaire). Car Trenet hante Biolay, mêmes noirceurs, mêmes fêlures, même mélancolie semble-t-il que le grain de Biolay - a-t-il jamais chanté si juste ?- transporte à merveille; quand les manants ne voient que du sautillement chez le Fou de Narbonne... Dans son livret, Biolay publie la fameuse citation de Jacques Brel: «Sans lui, nous serions tous des experts-comptables.» Histoire de souligner qu'il y a Trenet puis les autres. Façon de dire aussi qu'il fait un peu nuit depuis le 19 février 2001. Regret cependant de ne pas trouver ici
La Folle complainte, peut-être la plus grande chanson française de tous les temps, que Biolay aurait vêtue de sa belle voix de paille, ni
L'Oiseau des vacances, ce soleil oublié. Mais le répertoire de Trenet, c'est Byzance. Raison pour laquelle Renaud par exemple, qui pensa lui consacrer un hommage en 2005, renonça, n'ayant pas le courage de choisir. Quand on lui demandait un autographe, Trenet s'amusait, dans l'instant, à chercher une rime au prénom. «Amitié à Baptiste qui est artiste» m'avait-il dédicacé dans un sourire. C'était bien trop. Qu'aurait-il trouvé avec BB? «Pour Benjamin, "mon" gamin»… Qui sait.