Le jeudi 2 décembre 2021, Angèle dévoilait à minuit, en catimini, son deuxième album, NONANTE-CINQ, qui était attendu le 10. Armée de mauvaise foi, et dans une étonnante synchronicité sororale, la critique, quelques heures plus tard, mouchée, mais couchée, le fusil en joue, tirait sur une jeune femme dont le public a fait une star. Ainsi, Marie Clock, dans Libération, s’affligeait-elle de la vacuité d’un disque «introspectif», sans intérêt même s'il «est plutôt bien composé, diablement bien produit» et qu’il présente «tout de même l’immense mérite de ne pas se complaire dans le sempiternel passéisme cheap dont font preuve tant de chanteuses pop francophones.» Un mauvais bon disque en somme... De son côté, dans Numéro Magazine, Violaine Schütz cinglait «un journal intime nombriliste voire exhibitionniste. Impudique et mégalo.» Rien que ça. Odile de Plas, enfin, regrettait dans Télérama qu'Angèle ait «troqué l’humour et l’à-propos de BROL contre le nombrilisme et la banalité». Ok. Mais qu'attendre d'autre d'une artiste qu'elle soit nombriliste? Qu'elle parle d’elle, de ses peines, du cours ordinaire des choses? Qu'elle soit ciselée par le doute? Barbara, Françoise Hardy, Véronique Sanson n'ont-elles jamais fait que chanter le battement blessé de leurs cœurs? Dans la chanson Taxi, sixième plage noyée de tristesse – et chef-d’œuvre de l’album, Angèle nous plonge la tête dans l’habitacle pathétique d'un taxi parisien où, de nuit, sous la pluie, se trame l'acmé d'une rupture amoureuse, banale, oui, et narcissique. «J’peux pas m’empêcher de composer comme exutoire / Racontant ma vie privée, et puis ensuite de m’en vouloir» y confesse-t-elle. Tout est là. NONANTE-CINQ est un disque réussi, réjouissant même, qu’enveloppe la voix d’Angèle, de miel, qui dérive. Un disque d’époque, avec les problématiques qui la portent. La peur de l’avenir par exemple. Sur un air qui fera trembler tous les Zénith de France, Plus de sens dépeint ce que la planète supporte depuis mars 2020, le ricochet des variants. Ou bien la question de savoir si l’on peut encore sérieusement croire en l’amour (Solo) telle que la bourgeoisie des sentiments l’inculque depuis des siècles. Avec On s’habitue, Angèle dresse en deux minutes et trente secondes le tableau hyperréaliste d’une vie banale, parsemée de souffrances et de deuils. Grâce à Tempête, combien de jeunes femmes battues trouveront-elles le courage de franchir la porte d’un commissariat? L’ultime morceau du CD, Mauvais rêves, s’imposant enfin, sans même qu’Angèle ne s’en soit peut-être rendue compte, comme le plus bel hommage subliminal qu’une musicienne pouvait rendre à Christophe. Il y a sur ce disque cinq ou six chansons carrément bien gaulées. D'ailleurs, que demander d’autre à une chanson que d’être bien gaulée?
Baptiste Vignol