* Le snobisme, c'est une bulle de champagne qui hésite entre le rot et le pet.
Baptiste Vignol
L'eau à la bouche by Gainsbourg
L'eau à la bouche by Lulu
L'aménorrhée? C'est l'absence de règles chez une femme en âge de procréer. Le mot vient du grec a pour privation, mên pour mois et rhein pour couler. Ils ne sont pas pléthore à pouvoir chanter cet état-là. Si l'on demandait à quelque spécialiste de la chanson française le nom du parolier ayant déjà usé du mot aménorrhée, il répondrait sûrement... Léo Ferré, Brigitte Fontaine ou Katerine en se basant sur leur amour du verbe, de l'allitération, de l'assonance et de la trouvaille musicale. Chacun de ses auteurs aurait en effet pu le placer sans chercher à paraître savant, ni tomber dans la pédanterie. Mais c'est une autre plume, Albin de la Simone, dont l'univers l'entraîne vers des trames énigmatiques, qui le fredonna pour la première fois: "Alors avec les beaux jours/ Ma marraine en aménorrhée/ Me déglace avec amour/ Et m'avale d'un trait..." (Simone, 2005)
Ainsi la chanson sert-elle parfois de révélateur, valide l’existence d’un mot, apparu récemment, ou le sort de l’oubli, lui donnant une nouvelle visibilité, élargie des seuls initiés. En 1992, Charles Trenet s’amusait d’être le premier à chanter «palimpseste» (du grec palimpsêstos «graté pour écrire de nouveau») : «Ils connaissent tout de l'Univers/ De son endroit de son envers/ Changeant en un grand palimpseste/ La voûte céleste » (Les intellectuels). Dans L’Immoraliste, quatre-vingt-dix ans auparavant, Gide écrivait : «Et je me comparais aux palimpsestes; je goûtais la joie du savant qui, sous les écritures plus récentes, découvre sur un même papier un texte très ancien infiniment plus précieux. »
Les exemples de paroliers lettrés foisonnent, mais nul mieux que Renaud, depuis 1975, n’a su tirer bénéfice des mots inusités. Et l’orpailleur de la chanson de ressusciter l’expression argotique «en cloque» utilisée par Céline dans Mort à crédit («Notre terreur c’était la Mésange, qu’elle se fasse foutre en cloque un beau jour par un de ces arsouilles!... » 1936), de populariser «morgane de toi» dénichée on ne sait trop où et de refiler un coup de jeune au verlan avec Laisse béton (1977).
Grâce à Colonel j’ai 16 ans adressée récemment, via l'Internet (150.000 vues), comme une réponse au tube Aurélie de l’auto-proclamé Colonel Reyel, Benny B 2011, la chanteuse Jeanne Cherhal a gagné pour l’éternité le privilège d’avoir dépucelé ces termes issus de l’argot des banlieues : «bolos» (victime, bouffon ou client au sens de consommateur de cannabis), «cas soce» (littéralement cas social) et l’expression «la faire à l’envers» (arnaquer, bluffer, dissimuler ou cacher quelque chose à quelqu’un) balancée tous azimuts dans l’émission Secret Story (TF1), véritable amplificateur des nouveautés langagières, par ailleurs relevées par le sociologue Marwan Mohammed dans son essai La formation des bandes – Entre la famille, l’école et la rue (PUF, 2011).
Un détail qui, dans les livres d’histoire de la chansonnette hexagonale, surpassera le buzz occasionné par la riposte cherhalienne, laquelle, enfin, suggérait également, via le mot «bulot» («J’ai trouvé un boulot/ À la pêche aux bulots…») un clin d’œil à Vincent Baguian, le premier à stigmatiser les propos du titre Aurélie : «On ne s’attaque pas à sujets aussi graves que l’avortement ou la maternité à 16 ans, quand on la capacité d’analyse d’un bulot. »
Baptiste Vignol
De la honte d'être invité chez Laurent Ruquier malgré soi
par Vincent Baguian