TIRER LA NUIT SUR LES ÉTOILES, donc. Qu’en penser, passés les alléluias, les gros titres des journaux et les emballements médiatiques dont jouit systématiquement Étienne Daho quand il revient, tous les quatre ou cinq ans, avec un nouvel album? Giclant toujours des mêmes plumes enamourées, jamais lasses de se répéter, cette gerbe d'éloges qui accompagne en fanfare chaque comeback du «Pape de la pop française», résonne comme un râle extatique: «Un artiste en état de grâce», «Quarante ans de carrière au sommet», «L'éternel dandy amoureux», «Un best of à lui tout seul», «Il n’a jamais aussi bien chanté»... Ok, ok. Voyons ça de plus près. En commençant par la voix. Puisqu’un chanteur populaire, c’est d’abord, et avant tout une voix. Une voix qui, pour marquer l'oreille du public, doit se singulariser des autres. Certes, depuis belle lurette, la diction du «Rennais» s’est clarifiée, a pris du corps, du muscle, mais elle a perdu, avec l'âge, l'irrésistible fraîcheur de son voile originel, son ardeur triomphante, ce velouté, ce sex-appeal qui, jadis, faisait tomber la France. Car entre LA NOTTE, LA NOTTE (1984) et CORPS ET ARMES (2000), «Étienne» (comme l'appelle Match, par son prénom), en alignant
avec nonchalance, dans un déhanchement britannique dont raffolaient ses
fans, des succès d’une rare tenue, fit partie des aventuriers, des explorateurs, qui, sentant l'époque, donnaient le la. Celles et ceux qui l'ont vu au Zénith de Paris en janvier 1989, à l'Olympia en décembre 1992 et, dans le même écrin, huit ans plus tard, en novembre 2000, en sont restés baba. N'importe, voilà deux décennies que cette figure de proue du grand chic parisien n'a pas signé de tube, un vrai, et ça n’est pas dans cet album que les programmateurs radio en trouveront un. La faute à des mélodies pâlichonnes qui manquent d’ampleur et de style, et qu’une avalanche de chœurs ne parvient pas à sublimer. Dommage car deux textes au moins, inspirés, nets et sensuels, auraient mérité d'être mieux vêtus: 30 décembre (même si le chanteur, dans une interprétation trop appliquée, l'alourdit d’embarrassantes syllabes en «e» : «…nous griffe comme une fourcheuhhh», «…comme une soucheuhhh») et l'émouvant Roman inachevé: «Où sont tous nos je t'aime, où sont-ils les serments? / Le vent me les ramène en rafale et souvent, / Je pense à nos poèmes, je pense à notre banc, / Aux champs de cyclamens qui tremblent dans le vent...» Rien que pour ces quatre vers, merci. Finalement, sur le transatlantique que pourrait incarner le vaste répertoire d’Étienne Daho (quinze LP studio tout de même), et dont la douzaine de chefs-d’œuvre* laisse un impressionnant sillage, ces onze nouvelles chansons ressemblent moins à des cartouches qu'à des fanions qui, tendus entre les deux grandes cheminées du bâtiment, battraient gentiment au vent.
Baptiste Vignol
* Week-end
à Rome (1984), Tombé pour la France (1985), Épaule tattoo (1986), Paris, le Flore (1986), Duel au soleil (1986), Bleu comme toi (1988), Des Heures
indoues (1988), Des attractions désastre (1991), Saudade (1991), Quand tu m’appelles Éden (1996), Le premier
jour du reste de ta vie (1998), Ouverture (2000), La Baie (2000).