Sorti en février 2017, ce disque, d’une lucidité blanche, n’a pas suscité, malgré sa durable profondeur, l'attention qu'il méritait. Que faut-il donc pour qu’un album vif et généreux recueille le succès? Peut-être que son interprète soit (encore) assez à la mode pour obtenir une invitation chez Ruquier. Sur le plateau duquel défilent aussi des chanteurs de charme déclinants, qui attendent sagement, et en silence, devant une femme en pleurs rouée de reproches assassins, leur tour de servir, et en serrant les fesses, une soupe tiédasse aux téléspectateurs. « Faire un disque, c’est chercher une fraternité entre les gens » déclarait Raphaël dans L’Express le 27 septembre 2017. Et le vendre, c’est ne penser qu’à sa gueule, mec. Mais ce constat consternant n'est que le reflet d’une société définitivement individualiste. Ce que Kent dépeint parfaitement, et à pleine gorge, dans Si c’était à refaire («L’amour est mort à la télévision / […] Alors on lui préfère les injures, les parjures, / Les blessures, les ruptures, / Les souillures et les caricatures…»). Si la chanson Éparpillé est un bel autoportrait («Des bouts de moi sont égarés / Dans des coins de vie détachés»), Un revenant, admirable description d’un homme ayant survécu à la barbarie, subjugue par sa finesse («La vie qui penche / Et tombe sur le trottoir / L’étonnement dans un dernier regard…»). Quant à La grande illusion, qui donne son titre au CD, elle frappe par son réalisme qui verse à cru sa morne clarté («Et puis nous irons chez toi faire l’amour / Au pied du lit dans le miroir / La cruauté de la lumière du jour / Nous jouera un porno blafard»)… Bref, dix chansons qui sonnent, délivrées d’une voix sans faille, que la réalisation de David Sztanke, alias Tahiti Boy, rend souvent épatantes.
Baptiste Vignol