Bertrand Betsch a des chansons plein la bouche, qu'il enregistre tous les deux ou trois ans sur son propre label, Les imprudences, avec la rectitude, l'engagement poétique, la dévotion d'un Jacques Bertin, contre vents et marées médiatiques. Douze titres composent LA VIE APPRIVOISÉE sorti au printemps 2016, dont quelques-uns, s'ils étaient diffusés, toucheraient le public. Où tu vas?, par exemple, avec ses cris, ses plaintes et ses douces alarmes, est typiquement le morceau dont aurait besoin Étienne Daho pour enflammer une dernière fois les charts qu'il a quittés voici presque quinze ans (Comme un boomerang, n°6 du Top en mars 2002). Mais les choses sont ainsi, hors «Nouvelle Star» aujourd'hui, sauf exceptions (Stromae, Christine), un tube est forcément chanté par une vedette. Sinon, écoutez Qui perd gagne, vous entendrez Alain Souchon — dans la voix duquel d'ailleurs le timbre de Bertrand Betsch semble se glisser de plus en plus. Au sein d'Il arrivera, tel un Dominique A de compète, _B. _B. pourfend les peurs et les «vieux tracteurs à rancœur»… Avec Les hommes douleurs enfin, il délivre en deux minutes l'une des plus belles chansons qui soient sur les éclopés de la vie, ceux-là qui tombent, se relèvent et «se mordent la langue jusqu'au sang», qu'Anne Sylvestre a si bien chantés… Parce qu'il se nourrit du silence et que sa source parait intarissable, Betsch appartient à l’armée des muets dont parlait Martin du Gard en évoquant Spinoza: il écrira encore une quinzaine d'albums, léchés et profonds, mais le jour de sa mort, il n’aura encore rien écrit. L'ultime vers du CD n'annonce-t-il pas «Je reviendrai…»? Ses fidèles seront là.
Baptiste Vignol