"Au joli temps de nos guitares/ Aufray chantait Santiano/ Ricet La Servante du château/ C'était Perret, Sylvestre et Var..." Le temps de nos guitares figure sur SOLITAIRE (2008) de Georges Moustaki.
À l'occasion de la parution de CAUSES PERDUES ET MUSIQUES TROPICALES (2010), Bernard Lavilliers racontait dans le Monde à Véronique Mortaigne: "J'ai commencé dans les cabarets avec des types incroyables, Ricet Barrier [Bernard Lavilliers chante "Oh non, non, quelle audace/ Non, n'insistez pas Stanislas!" qu'il "aimerait reprendre"], Bobby Lapointe, Rufus, Romain Bouteille, Raymond Devos..." (Le Monde, 19/11/2010).
Il y a quelques années enfin, Renaud regrettait dans une interview ne jamais voir Ricet Barrier à la télévision...
Renaud, Moustaki, Lavilliers aimaient les chansons de Ricet, comme les aimaient également Julos Beaucarne, Jacques Brel, Michel Buhler, les Frères Jacques, Allain Leprest, Pierre Vassiliu, chansonniers-poètes inusables. Sans doute aimaient-ils aussi l'homme, le plus chaleureux qui soit.
En octobre 2010, Ricet rencontrait chez lui en Auvergne, dans sa ferme de Montaligère, Jeanne Cherhal montée sur les hauteurs du 63 pour le saluer. Au coin du feu de la vaste cheminée, Jeanne lui racontait sa tournée en cours avec les rockeurs de la Secte humaine, Ricet, sa récente - et sérieuse - hospitalisation : "Quelle rigolade !" soufflait-il; il avait voulu lui faire entendre l'une de ses chansons préférées, Louise de Thomas Fersen -Ricet avait pleuré en l'écoutant-, finissant par dire, au moment des au revoir, comme l'ultime conseil d'un vieux de la vieille à une jeune chanteuse (lui qui se gardait bien d'en donner, des conseils): "N'oublie pas, Jeanne, c'est toi la patronne!"
Ricet Barrier est mort. Impensable d'aligner ces quatre mots. Et pourtant. Il avait 78 ans.
Baptiste Vignol
Ci-joint, un joli portrait de Ricet Barrier signé Jacques Perciot:
"Mon vieux Ricet. Elle commencent déjà à nous manquer, tes bacchantes en balai de crin. Grâce à elles, te faire la bise, c’était un peu comme s’essuyer les pieds au seuil de ta maison de rêve. Après ça, on pouvait entrer dans ton chez toi, histoire de s’y nettoyer le cœur, la tête et tout le reste.
Tu ne nous a voulu que du bien mon vieux chafouin. On te l’a rendu aussi fort qu’on l’a pu. Pas assez, si ça se trouve, et c’est pour ça qu’on est inconsolables. On en fabrique plus des comme toi, on a dû péter le moule et ça fout bien les boules. Mes pauvres rimettes en « oule » me rappellent le « Elle est fraiche ma moule ! » de La marchande de poisson. Fallait oser...
Suffisait pas d’oser, d’ailleurs : fallait, en plus, avoir l’élégance. L’élégance, c’était tout toi. Naturelle. Urbaine et paysanne à la fois. L’œil qui plisse, l’œil complice, la ridule majuscule et cette façon si singulière de prononcer les « S », ça aussi, c’était toi.
On sait bien qu’une guitare ça ressemble au ventre des femmes. Ça n’a jamais été aussi vrai que sous tes doigts, du Cheval d’or à l’Ancienne Belgique, du Théâtre de l’Étoile à ta thébaïde de Montaligère.
J’en connais qui doivent bien rigoler, en ce moment. Je pense, pêle-mêle, à Devos, Mireille, André Bellec, François Soubeyran, Yves Robert, Bernard Lelou, Lady Chatterlay, François Rabelais... Pas mal d’autres et même Barclay. Ne me dis pas que tu arrives là-haut les mains vides !
Dans ton havresac (en cuir et made in Montaligère) tu as, évidemment, prévu la verveine «maison» et de quoi rincer tout ce joli monde d’une bonne vieille «patate» à ta façon.
Ta «patate», mon vieux Ricet ! C’est un genre de communard, pinard et crème de cassis entremêlés, qui vous allumait glotte et mirettes en un clin d’œil. A tel point que je n’ai jamais songé à te demander pourquoi tu appelais ça «patate». Dans ta bouche, c’était une tellement magnifique évidence.
Toi qui fus prof de gym, of course (à ce propos : n’oublie pas de transmettre mes amitiés à Louki), je t’ai toujours vu prendre des notes. Éternel écolier, je te revois vider, avec délectation, le chargeur de ton stylographe à la moindre maxime, sentence, apophtegme, aphorisme ou métaphore qui t’avais échappé jusque-là.
Éternel escholier, tu nous a aussi troussé des couplets, mine de rien et en te marrant, fort pédagogiques. Rien qu’un exemple : Les spermatozoïdes. C’est une chanson sur la vie, qui est un vrai miracle, un improbable cadeau dont il faut s’efforcer de faire quelque chose de chouette. Je pense sincèrement, et je suis pas le seul, que tu t’es pas trop planté à cet égard.
Je te rassure, mon vieux Ricet, je ne suis pas en train d’écrire ta nécro. Faudrait que tu sois vraiment mort pour ça. Et tes chansons sont increvables. Et comme elles te ressemblent comme un goutte d’eau, cette eau a encore le temps de passer sous les ponts de «Romilly-les-chaussettes», ta bourgade natale, avant qu’on ne t’enterre une fois pour toutes.
En attendant, quand même, sache que toutes nos pensées flottent vers ton Anne, ton helvète et adorable moitié. Tiens: puisque les lecteurs de ces pauvres lignes ont, peu ou prou, ton intégrale en bonne place dans leur discothèque, je les invite à se repasser Le coucher hivernal des Barrier. Histoire de se marrer un bon coup. Si on pleure un tout petit peu, ma foi, on sait que tu ne nous en voudras pas.
À la revoyure, vieux ! Et, pour tout ce que tu nous laisses, je te cite : « Mieux, ce serait pire ! »"
À l'occasion de la parution de CAUSES PERDUES ET MUSIQUES TROPICALES (2010), Bernard Lavilliers racontait dans le Monde à Véronique Mortaigne: "J'ai commencé dans les cabarets avec des types incroyables, Ricet Barrier [Bernard Lavilliers chante "Oh non, non, quelle audace/ Non, n'insistez pas Stanislas!" qu'il "aimerait reprendre"], Bobby Lapointe, Rufus, Romain Bouteille, Raymond Devos..." (Le Monde, 19/11/2010).
Il y a quelques années enfin, Renaud regrettait dans une interview ne jamais voir Ricet Barrier à la télévision...
Renaud, Moustaki, Lavilliers aimaient les chansons de Ricet, comme les aimaient également Julos Beaucarne, Jacques Brel, Michel Buhler, les Frères Jacques, Allain Leprest, Pierre Vassiliu, chansonniers-poètes inusables. Sans doute aimaient-ils aussi l'homme, le plus chaleureux qui soit.
En octobre 2010, Ricet rencontrait chez lui en Auvergne, dans sa ferme de Montaligère, Jeanne Cherhal montée sur les hauteurs du 63 pour le saluer. Au coin du feu de la vaste cheminée, Jeanne lui racontait sa tournée en cours avec les rockeurs de la Secte humaine, Ricet, sa récente - et sérieuse - hospitalisation : "Quelle rigolade !" soufflait-il; il avait voulu lui faire entendre l'une de ses chansons préférées, Louise de Thomas Fersen -Ricet avait pleuré en l'écoutant-, finissant par dire, au moment des au revoir, comme l'ultime conseil d'un vieux de la vieille à une jeune chanteuse (lui qui se gardait bien d'en donner, des conseils): "N'oublie pas, Jeanne, c'est toi la patronne!"
Ricet Barrier est mort. Impensable d'aligner ces quatre mots. Et pourtant. Il avait 78 ans.
Baptiste Vignol
Ci-joint, un joli portrait de Ricet Barrier signé Jacques Perciot:
"Mon vieux Ricet. Elle commencent déjà à nous manquer, tes bacchantes en balai de crin. Grâce à elles, te faire la bise, c’était un peu comme s’essuyer les pieds au seuil de ta maison de rêve. Après ça, on pouvait entrer dans ton chez toi, histoire de s’y nettoyer le cœur, la tête et tout le reste.
Tu ne nous a voulu que du bien mon vieux chafouin. On te l’a rendu aussi fort qu’on l’a pu. Pas assez, si ça se trouve, et c’est pour ça qu’on est inconsolables. On en fabrique plus des comme toi, on a dû péter le moule et ça fout bien les boules. Mes pauvres rimettes en « oule » me rappellent le « Elle est fraiche ma moule ! » de La marchande de poisson. Fallait oser...
Suffisait pas d’oser, d’ailleurs : fallait, en plus, avoir l’élégance. L’élégance, c’était tout toi. Naturelle. Urbaine et paysanne à la fois. L’œil qui plisse, l’œil complice, la ridule majuscule et cette façon si singulière de prononcer les « S », ça aussi, c’était toi.
On sait bien qu’une guitare ça ressemble au ventre des femmes. Ça n’a jamais été aussi vrai que sous tes doigts, du Cheval d’or à l’Ancienne Belgique, du Théâtre de l’Étoile à ta thébaïde de Montaligère.
J’en connais qui doivent bien rigoler, en ce moment. Je pense, pêle-mêle, à Devos, Mireille, André Bellec, François Soubeyran, Yves Robert, Bernard Lelou, Lady Chatterlay, François Rabelais... Pas mal d’autres et même Barclay. Ne me dis pas que tu arrives là-haut les mains vides !
Dans ton havresac (en cuir et made in Montaligère) tu as, évidemment, prévu la verveine «maison» et de quoi rincer tout ce joli monde d’une bonne vieille «patate» à ta façon.
Ta «patate», mon vieux Ricet ! C’est un genre de communard, pinard et crème de cassis entremêlés, qui vous allumait glotte et mirettes en un clin d’œil. A tel point que je n’ai jamais songé à te demander pourquoi tu appelais ça «patate». Dans ta bouche, c’était une tellement magnifique évidence.
Toi qui fus prof de gym, of course (à ce propos : n’oublie pas de transmettre mes amitiés à Louki), je t’ai toujours vu prendre des notes. Éternel écolier, je te revois vider, avec délectation, le chargeur de ton stylographe à la moindre maxime, sentence, apophtegme, aphorisme ou métaphore qui t’avais échappé jusque-là.
Éternel escholier, tu nous a aussi troussé des couplets, mine de rien et en te marrant, fort pédagogiques. Rien qu’un exemple : Les spermatozoïdes. C’est une chanson sur la vie, qui est un vrai miracle, un improbable cadeau dont il faut s’efforcer de faire quelque chose de chouette. Je pense sincèrement, et je suis pas le seul, que tu t’es pas trop planté à cet égard.
Je te rassure, mon vieux Ricet, je ne suis pas en train d’écrire ta nécro. Faudrait que tu sois vraiment mort pour ça. Et tes chansons sont increvables. Et comme elles te ressemblent comme un goutte d’eau, cette eau a encore le temps de passer sous les ponts de «Romilly-les-chaussettes», ta bourgade natale, avant qu’on ne t’enterre une fois pour toutes.
En attendant, quand même, sache que toutes nos pensées flottent vers ton Anne, ton helvète et adorable moitié. Tiens: puisque les lecteurs de ces pauvres lignes ont, peu ou prou, ton intégrale en bonne place dans leur discothèque, je les invite à se repasser Le coucher hivernal des Barrier. Histoire de se marrer un bon coup. Si on pleure un tout petit peu, ma foi, on sait que tu ne nous en voudras pas.
À la revoyure, vieux ! Et, pour tout ce que tu nous laisses, je te cite : « Mieux, ce serait pire ! »"