Disco Météo



Il y avait des arbres/ Mais les arbres sont déracinés/ Pourquoi les vagues/ Des océans ont-elles changé?” (Il y avait, 1976). Question déjà d’actualité en 1976. Paysage sans âme, à la Houellebecq. Bord de mer sinistré. Un décor inquiétant dressé par Nicolas Peyrac, de la lignée des Alain Souchon, Michel Jonasz ou Yves Simon.
Trente ans plus tard, les éléments ne se sont pas apaisés. Comme si la Terre se vengeait. « Sous nos pieds la terre […] agonise/ Sous le ciel, le sol se révolte […]/ Sous le soleil, les forêts brûlent » (La Terre meurt, 2007) déplore aujourd’hui Aznavour, lui, le chanteur de l’amour, qui défriche là un nouveau terrain thématique.
Ouragans, tsunamis, inondations, sécheresses, canicules, séismes... On ne démentira pas Francis Cabrel quand il entonne : “Sale temps sur la planète/ Oh le drôle, le drôle de temps” (Le monde est sourd, 1999). "Comme si la Terre penchait..." Les neiges fondues du Kilimandjaro. L’Amazone à sec. La dérive des icebergs. Autant de phénomènes “naturels” qui assombrissent l’horizon.
En France, le dérèglement du climat semble s’être déclenché quelques jours avant l’an 2000, le 26 décembre 1999, quand, du Golfe de Gascogne aux rives du Rhin, une première tempête, suivie d'une seconde le 27, balaient le pays, arrachent les toits, abattent des forêts, tuant 90 personnes avant de fondre sur l’Allemagne. Une tempête mémorable. Comme un ouragan. Une première sur le continent. « C'est infernal cette affaire,/ La tempête décharnait les arbres,/ Et tout le monde paniquait […]/ C’est interminable cet enfer,/ C'est un coup à se flinguer » (La tempête Mickey 3D, 2001). Un véritable cyclone. Sous nos latitudes ! En hiver qui plus est… Alors qu’il s’agit de phénomènes tropicaux – auxquels on accole des prénoms depuis 1962. Le pittoresque de cette dénomination n'a pas échappé à Claude François qui en a fait, sur le mode burlesque, une sorte de joyeux carnet de bal : « Lundi Caroline/ Mardi Véronique/ Mercredi c'est Line/ Jeudi Angélique/ […] Je suis au service météo de France/ Et toutes ces filles sur qui je me penche/ Ce sont des cyclones, ce sont des typhons… » (Disco météo, 1977).
Parmi les dizaines de tempêtes qui se forment chaque année, certaines ont tellement marqué les esprits qu’elles ont inspiré des couplets. Le 16 septembre 1989, par exemple, Hugo frappe la Guadeloupe. Thomas Fersen se souviendra de ses rafales dantesques, chronométrées à 300 km/h, de ses 23 victimes et 21 000 sans-abri : « Hugo a soufflé les bougies/ Et le toit de mon logis./[…] Hugo a soufflé sur nos portes/ Et tout pour lui fut feuille morte./ Oh, mon amour, que reste-t-il ?/ Hugo a craché sur notre île » (Hugo, chanson du cyclone, 1995).
Le 29 août 2005, la Louisiane est anéantie. Les vents soufflent à 280 km/h. Des vagues hautes comme des immeubles de cinq étages surgissent de l’océan, renversent les digues et plongent la Nouvelle-Orléans sous plusieurs mètres d’eau. Eddy Mitchell rendra hommage aux 1 500 victimes et 150 000 sinistrés de la ville : « Violent, angoissant/ Cruel, inhumain/ Portant pourtant/ Un joli prénom féminin/ L’ouragan Katrina/ Noie […] ma Nouvelle-Orléans » (Ma Nouvelle-Orléans, 2006).
Que dire de Dean et Félix aujourd’hui, ces ouragans de catégorie 5 (la plus élevée sur l’échelle de Saffir-Simpson) qui viennent de dévaster les Caraïbes, le Mexique, le Honduras et le Venezuela ? Sinon qu’ils seront, puisqu’ils furent meurtriers, les derniers à porter ces prénoms…
Bien sûr, ces intempéries naturelles ont toujours existé. En 1770, par exemple, Bernardin-de-Saint-Pierre, de passage aux îles Mascareignes, consacrait plusieurs pages au « coup de vent » phénoménal qu’il avait vécu à Bourbon. Il s’en inspirera pour décrire le naufrage du Saint-Géran dans Paul et Virginie
Le Louisianais Zachary Richard, d’autre part, dédie dans son dernier album une chanson aux victimes de l’ouragan qui, en 1856, frappa l’Île Dernière, ancienne station balnéaire où la bourgeoisie de la Nouvelle-Orléans aimait s’installer l’été pour fuir la chaleur et la fièvre jaune. Tous les estivants périrent et l’îlot fut coupé en deux. Aujourd’hui l’Île Dernière sert de havre aux oiseaux migrateurs… Écoutons Zachary Richard: « Parmi les pleurs et les cris poussés, arrive le raz-de-marée,/ Comme le train du diable à trois étages, auquel rien ne résistait… » (L’Île Dernière, 2007).
Évidemment, ces phénomènes ne datent pas d’hier. Mais ceux qui menacent aujourd’hui sont d’une telle violence qu’ils permettent les pires pronostics. En 2004, dans un titre prophétique, Bernard Lavilliers présageait : « Je vois des canicules hallucinantes/ Toutes ces villes inondées/ Après nous, le déluge bombardé de neutrons/ L'univers qui nous juge nous donne le frisson » (État des lieux).
Canicule. Un mot synonyme de désastre (35 000 morts) après la vague de chaleur qui étouffa l’Europe en août 2003. Trois ans plus tard, Paris était à nouveau assommé. Jeanne Cherhal en ferait une chanson. « C'est bizarre depuis hier/ C'est le cagnard, c'est le calvaire... » (Canicule). Cette artiste a le don, sans s'en donner l’air, d'exprimer l’insensé, en deux mots, trois images, de nous assener quasiment un coup de chaleur : « Je suis à plat sur le carrelage/ Et malgré ça je suis en nage/ Dès que je bouge hanche ou mollet/ Je vire au rouge ou au violet… »
Septembre 2007. Nous tournons la page d’un “été pourri”, gris, automnal. Tandis que d'immenses incendies ont ravagé la Grèce - après l’Espagne et le Portugal les années précédentes: des brasiers criminels. De quoi dégoûter les pompiers, nouveaux héros des Temps modernes. “Un gang de pyromanes/ Se croit au paradis/ Les pompiers en ont marre/ C’est la grève aujourd’hui/ Il y a le feu partout/ C’est la fête des fous/ Il y a le feu partout/ Viv’ le feu, viv’ les fous” (Vive le feu, 1984) pestaient jadis les Bérurier Noir dans un titre rageur quasi prémonitoire.
“Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre” déplorait Jacques Chirac au sommet de Johannesburg (septembre 2002), quand George Bush refusait encore et toujours de ratifier le protocole de Kyoto. Une phrase, hélas, restée sans lendemain. Il paraît pourtant évident que tous ces dysfonctionnements sont la conséquence de l’émission des gaz à effet de serre, de la déforestation, du réchauffement climatique… D’éminents climatologues prétendent que nous courons dans le mur. D’autres affirment qu’on y est déjà, mais qu’on ne s’en est même pas aperçu! Trop occupés à produire, consommer, gaspiller avec frénésie.
Je voudrais être un arbre pour plonger mes racines/ Au cœur de cette terre que j’aime tellement/ Et que ce putain d’homme chaque jour assassine/ Je voudrais le silence, enfin, et puis le vent” (Fatigué, 1985) s'est longtemps lamenté Renaud. Le silence, enfin, et puis le vent.

Baptiste Vignol