« Que vienne la nuit / Que vienne l’heure où le soleil gémi-it...» Avions-nous ouï, avant Clara Ysé, pareille voix, oblique et sensuelle, qui fait danser du ventre les syllabes, envoûte, nous engloutit et « crame le silence »? Seule et souveraine, brûlante sur son étoile, la chanteuse, diluvienne et totale, adresse avec ce premier disque, OCEANO NOX, un aimable salut de la main qu’elle jette à celles et ceux qui, médusés, passent au loin. Onze chansons sombres, liquides et indomptables, ocellées de ciselures, sibyllines et cabriolantes. Cuivrées, sur des cordes aériennes. Torrides aussi: «Fais-moi l’amour, un petit peu...» (Comment mieux débuter une supplique interdite aux moins de seize ans? « Viens, et penche vers le paradis / Mon bassin tout, tout contre tes hanches / Toi tu pâlis dans la nuit / Dedans toi tu sens que ça flanche / C'est l’avalanche et tu plies…» Soleil à minuit). Barbaresques enfin, dans deux piano-voix épurés : Lettre à M, d’abord, qui dit, comme rarement chanson l’avait fait, que le deuil d’une mère, d’une mère aimante partie beaucoup trop avant l’heure, n’existe pas. La maison ensuite (« Je ne quitterai pas l’île / Des souvenirs avec toi...»), dont la porte d'entrée referme mélancoliquement cet album tombé du ciel qui brille d’un éclat vif argent sous un blond de lune automnal où se glisse l’odeur de l’absence, où suinte l'angoisse des grands incendies, où souffle une brise légère, océanique, simplement introuvable ailleurs. Soleil noir en vue.
Baptiste Vignol