Rien que Véro

 
(© Laurent Calut)

Novembre 2022. Le vaisseau royal de Véronique Sanson s’amarre trois soirs au quai des Folies Bergère à Paris. Depuis quelques semaines, lancée dans une nouvelle tournée, l'artiste subjugue les foules de tous âges. L'inaltérable triomphe d’une chanteuse exceptionnelle dont l'amour fougueux pour la musique auréole l’œuvre depuis 1972. La voir s’asseoir à son piano, s’emparer du clavier, le conquérir, libre et rebelle, tandis qu’elle croise ses jambes, les décroise et se dresse par instants au-dessus de son tabouret ne peut qu'impressionner celle ou celui qui découvre le saisissant spectacle d’une musicienne domptant son Bösendorfer. Elle et Lui ne font qu’une, qu’un, osmotiques, dans le phosphore irréel de sa voix, la splendeur fauve de son aura. Observer les caresses voletantes de ses doigts sur les touches. Les voir s'interrompre en suspens puis plonger, rebondir et poursuivre leur cavalcade. Remarquer le léger tapotement sous le plateau de clavier dont discrètement elle gratifiera l'instrument comme une cavalière félicite son cheval. Et puis regarder son corps se cambrer, ses reins s’arquer, sa silhouette se renverser dans le vide. L’incendie d’un soleil couchant. Le déploiement d’une Femme-piano dont la chevelure est un phare. Enfin, dans la fièvre d’un théâtre en feu dont des centaines de spectateurs connaissent toutes les chansons par cœur et l’accompagnent d’une même voix, noter l’éclat de son sourire, le sourire d’une enfant, quand, après avoir chanté Ma révérence (cette adamantine complainte...), Visiteur et voyageur (ce déchirant portrait…), Amoureuse ou Bahia (qu’elle interprète plus rugissante et sensuelle que jamais), «Véro», avec une tendresse désarmante, applaudit le public qui l’acclame. Unique. On dit qu'elle mesure moins d'un mètre soixante. C’est la plus grande.

Baptiste Vignol

 


Rose Vallotton

Dur, dur d'être un chanteur français quand t'as Biolay devant qui caracole. Les seize chansons de SAINT-CLAIR, son plus récent CD, furent présentées le 15 septembre 2022 sur la scène d'une Cigale en feu (jour triste où Roger Federer annonça sa retraite...). Jouées dans l’ordre du disque par un groupe impeccable (les guitaristes Pierre Jaconelli et Philippe Almosnino, la bassiste Nathy Cabrera, le batteur Philippe Entresangle et le claviériste Reyn Ouhewand), elles mirent, ce soir-là, le public en transe. Boulevard de Rochechouard, Benjamin Biolay, à la cool (pantalon à poches et lunettes noires), mais au taquet, humble et sûr de son talent, bannit du set tout bavardage. Cet artiste est un musicien. Nullement un chansonnier. «Je ne sais pas comment vous remercier, c’est une des plus belles soirées de ma vie » fut donc l’un des rares apartés du concert. Le lendemain, on apprenait que le disque trônait à la première place du top des ventes en France. Après dix albums studio et d’innombrables collaborations, voilà BB seul au sommet. Il enchaine les succès (Comment est ta peine?, Comme une voiture volée, Rends l’amour) quand la plupart de ses confrères apparus, comme lui, à l’aube des années 2000, se répète et ronronne – sans parler des carriéristes qui s’autofêtent en célébrant les décennies qui passent... Toujours se poser cette question: Brassens, Barbara ou Gainsbourg l’auraient-ils fait? SAINT-CLAIR est l'opus luxurieux d’un homme éperdu d’amour, qui ne s’aime pas tant que ça (écouter la sublime (Un) Ravel, digne des plus belles folles complaintes de Trenet). Ses chansons sentent la sueur, l'ardeur et le cul. Elles ont l’ivresse des coups de foudre, la douceur des caresses, le goût salé des larmes et l’amertume des nuits blanches. Si Biolay plait tant aujourd'hui, à quarante-neuf balais bientôt révolus, c’est parce qu’avec son timbre de braise, il chante comme personne (excepté Jean-Louis Murat) la passion et ses dessous chics – la seule chose qui vaille d'être vécue. Le clip de son nouveau single, Les joues roses, vient d’être dévoilé. Il met joliment en scène l’actrice Chloé Hirschman. Cette ode aux plaisirs physiques, moins légère qu’il n’y parait (« Les soirs de chagrin / Je voudrais m’éteindre / En baisant ta main… »), a le charme des grandes chansons populaires. Coquine et entêtante, elle se laisse attraper comme on regarde un nu de Félix Vallotton: en sentant poindre le trouble du désir. « Tes cuisses lisses qui mènent aux forêts de tes jambes… » L'extase, c'est le point d'eau, on y revient toujours. Du bout de son pinceau, le peintre la suggérait en rosissant les joues de son modèle. Chez les marchands de couleurs, demander un tube rose Vallotton.

Baptiste Vignol