Malgré un très beau relais médiatique (Les Inrocks, Libé, Télérama, Marie-Claire) présentant BLEUE de Keren Ann comme l’événement musical du printemps, l'album sorti le 15 mars chez Polydor s’est écoulé en première semaine à 1651 exemplaires, se classant à la 39ème place du Top des ventes... Il en va souvent ainsi avec le public quand on lui tourne le dos, il passe son chemin. En revanche, AMOURS GRISES & COLERES ROUGES des Ogres de Barback s’est hissé incognito à la 23ème position (deuxième meilleure entrée de la semaine derrière Hubert-Félix Thiéfaine) avec 2424 CD! Car le nouvel ODB rugit d’airs chaleureux, citoyens, féministes, festifs et fraternels. Pas de riches soieries, d’intérieurs chics ni d'épais rideaux ici. Mais des fenêtres ouvertes sur la rue populaire avec des volets qui claquent au vent. Pour chanter le désir (Il y a ta bouche), les ruptures (P’tit cœur), affronter l’inceste (Hé papa), narrer la bêtise crasse et masculine de l'homme qui, depuis toujours, abaisse, jalouse, cogne et condamne celles dont il est pourtant le frère ou l’amant (Pas une femme). Un album qui se mouille. Un disque rock, donc, de mots et de tempêtes. Qui ne flanche jamais dans la vanité. Et qui donne le ton dès son morceau d’ouverture dont le titre, Pas ma haine, s’inspire du récit d'Antoine Leiris qui perdit son épouse au Bataclan. Une chanson juste, rageuse et grave pour dépeindre l’épouvantable vermine qui, bouffie d’ignorance, ira «toujours plus loin dans l’innommable» et refera «sauter la dynamite dans des cartables». Rénaldien à donf', le brulot, façon Triviale Poursuite. D’ailleurs, le troisième morceau d'AMOURS GRISES & COLERES ROUGES s’achève avec ce clin d’œil malicieux qui, parions-le, touchera l'ancienne étoile de la zone: «C’est une chanson pour dans deux mille ans / Quand les arrières enfants des enfants, enfants de mes petits enfants / Auront peine à croire qu’on ait dû attendre deux mille ans / Pour devenir tolérants… / Intelligents... / Bon enfant... / Et bienveillants… / Poil aux dents… / Renaud Séchan… » L'Apache, t’inquiète, la relève t'est digne.
Baptiste Vignol