Pas une chanson ne sauve le dernier disque terne et fâcheux de Johnny Hallyday. Paroles prévisibles et ratées ; interprétation mécanique ; voix poussive, et disons-le, usée – comment le lui reprocher… Le chanteur, s’il l’avait désiré, aurait pu se voir offrir des textes en or, taillés sur mesure, puisqu’il avait à sa disposition tous les meilleurs auteurs du pays. Mais les mots, semble-t-il, n’ont jamais été son affaire. C’était ainsi. Non, ce qui plombe MON PAYS, C’EST L’AMOUR, ce sont ses musiques périssables et passe-partout. David Hallyday, qui n’est pas le pire des compositeurs, a du s’arracher les cheveux en découvrant cette mêlasse. Qu’il est triste de constater combien l’entourage de la star manifesta peu d’ambition artistique pour un fauve qui, lorsqu’il s’attaquait à des chefs-d’œuvre, se les appropriait totalement. Voir ses interprétations d'Et maintenant, L'Envie, Non, je ne regrette rien, Ma Gueule ou Ne me quitte pas. La sauvagerie d'Hallyday méritait d'autres partitions. A choisir, TOMBER ENCORE (dixième morceau du CD) aurait fait un bon titre pour cet album sans âme.
Mais qu’est-ce qu’on nous miaule?
Sophie Calle avait un chat. Il s’appelait Souris. Souris Calle. Ce fut, dit Sophie Calle, le prénom qu’elle a le plus prononcé dans sa vie. « Souris! Souris! » Souris est morte, après dix-sept ans de tendresses communes. Sophie Calle a un grain. Alors elle a décidé d’immortaliser le souvenir de Souris. En lui dédiant une œuvre. Un triple album 33 tours tiré à 1000 exemplaires. Composé de chansons écrites et enregistrées par ses amis de la grande variété francophone (Stephan Eicher, Christophe, Benjamin Biolay...) et planétaire (Bono, Pharell Williams, Jean-Michel Jarre, Jarvis Cocker…). Quarante noms au total. Pour un recueil foutraque. Inégal. Qui n’intéressera pas grand monde, sauf les admirateurs de Sophie Calle, et quelques journalistes éblouis. Dans le Monde du 12 octobre, Stéphane Davet lui a consacré une pleine page. Les musiciens sollicités par la plasticienne y jouent des coudes pour souligner leur sympathie avec la star. En gros, c’est à celle ou celui qui la connait depuis le plus longtemps. Façon de dire, en creux: Sophie est avant tout mon amie. « Je l’ai rencontrée il y a huit ou neuf ans, par l’intermédiaire de Stephan Eicher, qui est son voisin en Camargue», se rappelle ainsi Christophe Miossec. Keren Ann, de son côté, révèle avoir été invitée à son anniversaire, et l’avoir accueillie pour le sien! Quant à Juliette Armanet, elle confesse: « Recevoir un mail de Sophie Calle était pour moi le Graal absolu. Nous nous sommes vues depuis au Musée de la chasse à Paris, pour son exposition “Beau doublé, monsieur le marquis !”, à Arles et à plusieurs de mes concerts. » « A plusieurs de mes concerts ». Façon de dire, en creux: Sophie Calle est fan de moi. Car la nouvelle coqueluche de la chanson française s'illustre au générique (Cool Cat)! Et c’est l’un des moments les plus drôles de l’album. On croirait entendre Liane Foly imitant Juliette Armanet. De son côté, Christophe balbutie un gazouillis fatigué (Une chanson pas comm’). Biolay fait du Biolay, et c’est bien (El Gatito Raton). La voix de Bono (Message to Souris) s’impose… Keren Ann (Souris/Souris) vise juste. Raphael joue les détachés : « J’ai voulu écrire pour Sophie / Un oratorio pour Souris / J’ai essayé, mais j’ai calé / Il faut dire que ce chat / Que j’ai surement vu autrefois / Ne m’a laissé aucun souvenir précis… » (Oratorio pour Souris). Passionnant... Quant à Sophie Calle, d’une voix appliquée, elle chante Les sensations manquantes, la vraie réussite du projet, qu'elle a co-parolée avec Jeanne Cherhal. L'ensemble, interminable, étant à découvrir sur Deezer. C'est pourtant là que le bât blesse! Pourquoi avoir bradé ce caprice de star?
Baptiste Vignol
C'est qui la surdouée dans la radio?
Elle n’a que 22 ans. Diable. A quand faut-il remonter pour trouver auteur-compositeur-interprète qui, dès son premier album, affiche autant de maîtrise et, d’un pas de danse, parait devancer l'époque? MC Solaar, au même âge, en 1991, sortait QUI SEME LE VENT RECOLTE LE TEMPO. Ça date. Et Véronique Sanson, en 1972, bouleversait la pop française – pardon, la french pop – avec AMOUREUSE. C’est dire... Après cinq singles lumineux (La Loi de Murphy, Je veux tes yeux, La Thune, Jalousie et Tout oublier), on pouvait raisonnablement penser qu’Angèle avait dégainé ses meilleures cartouches. Mais BROL (pacotille en bruxellois), paru ce 5 octobre 2018, recèle d’autres babioles aussi neuves qu’elles sont aériennes, pertinentes et stylées. Balance ton quoi ne tourne pas autour du pot. Avec Nombreux, chantée simplement au piano, la musicienne, de son groove angélique, adresse à l’homme qu’elle aime une attachante déclaration. De l'entêtante Flemme l'on répétera en boucle les formules (« Sortir, c’est pour les nulles / D’t’façon, j’ai pas la thune», « Paris s’allume, ce qui manque, c'est Bruxelles! »). Et Flou dessine l'autoportrait d’une gamine devenue en quelques mois la sensation du moment (« Les gens t’aiment pas pour de vrai / Tout le monde te trouve géniale alors que t’as rien fait... »). Les chansons d'Angèle témoignent d’une clairvoyance, d’une fraicheur et d’un sens de la mélodie salutaires. La variété française avait besoin d’une aventurière, qui ne soit pas dans la pose ni l’autosatisfaction, mais qui invente, crée, cherche de l'air, par curiosité, goût du risque et désir de liberté. La voilà. Qui donne le La.
Péché mortel
« Comme l’encre / Une fois fixée / Ce qu’on fait ne s’efface pas… » Pourra-t-on écrire sans se faire insulter ni mériter la curée que Dominique A l'intouchable chante comme un abbé? Voix blanche, immobile, appliquée, studieuse… A trop s’écouter psalmodier, en veillant bien à ce qu’aucune émotion n’affleure de ses litanies, l’idole des Nantais « s’enfonce sous les frondaisons » (La route vers toujours)... Si Daho, ce chanteur de charme, ravive depuis trois décennies la mémoire de Jean Sablon (tiens, Etienne n’a jamais tenté la moustache!), Dominique A, qui s’accompagne sur LA FRAGILITE d’une apaisante guitare acoustique, a tout du nouveau Jacques Douai. Ses chansons propres, fossilifères, narrent des histoires plates et pastorales, de « terres brulées » où règne le « silence des campagnes», d’ « enclos ouverts à tous vents », de « pins penchés sur l’eau turquoise », de « voûtes végétales », de « chemins de roses enfouies », d’amours pâles (J’avais oublié que tu m’aimais autant) où la chair, le sang, la salive, le râle et la sueur semblent stagner dans des bocaux hermétiques. Voilà sans doute la raison pour laquelle toutes les ouailles du Marais l’écoutent à genoux, en prière. C’est un bon prêtre, le père Ané, qui compte plusieurs milliers de paroissiens.
Grand dieu... Pardon. Pardon. Pardon pour ce billet. C'est péché.
Grand dieu... Pardon. Pardon. Pardon pour ce billet. C'est péché.
Baptiste Vignol
Le panache de Bertrand Louis
Voilà dix-sept ans, depuis la sortie de son premier
album en 2001, que les chansons de Bertrand Louis accompagnent celles et ceux
qui connaissent sa voix grave, musicale et tranchante. Après la poésie hyper contemporaine de Philippe Muray auquel le
compositeur a consacré un disque en 2013 (SANS MOI, primé par l’Académie Charles Cros), Bertrand Louis s’attaque à Baudelaire !
Avec un panache salutaire. D’une dizaine de chefs-d’œuvre extraits du recueil Les Fleurs du Mal paru en 1857, Bertrand
Louis a fait des chansons d’aujourd’hui. « Ce projet n’a pas d’autre
dessein que de remettre un peu d'essence dans le moteur
baudelairien », explique le chanteur. Pari gagné. Haut la main. Car par-delà
toute espérance, Bertrand fait des souffrances de Baudelaire une projection
actuelle, d’un bleu azur métallisée. En grec ancien, « L’Héautontimorouménos »,
qui se niche au cœur du CD, signifie « bourreau de soi-même ». Tout
un symbole puisque Bertrand Louis, dont la voix n’a jamais paru aussi profonde
et généreuse, confronte avec éclat la légèreté presbytérienne d’une harpe (la
lyre antique) aux grognements basiques du rock (basse, batterie, guitare
électrique). Surgit alors de ce cocktail étonnant l'univers post-punk de Joy
Division, de Bauhaus, des premiers Cure et de Nick Cave... Sans oublier l’ombre
sensuelle du père Gainsbourg dans l’élégance qu’a Bertrand Louis de mordre les
syllabes. Dans cet assaut plein de fièvre, « Elévation », sur les
mots duquel Bertrand Louis surfe avec une grâce désinvolte, a tout du single radiophonique, hypnotique,
obsédant. Et « L’invitation au voyage », ce classique absolu, jouit
ici d’une robe si légère qu’elle parvient à mettre en relief ses formes rondes
et parfaites ! Avec cet album de rentrée, Bertrand Louis accomplit un véritable
coup de maître qui l’inscrit tout de go parmi les grands œnologues du Poète.
Baptiste Vignol