Immense chanteur français, cinquante-cinq ans de carrière, vingt albums et quinze tubes : n'est plus disponible en magasins depuis 1990.
Puisqu'à part une vague compilation de succès, le public ne peut plus écouter les mélodies d'un répertoire intemporel qui demeure accroché au fond de bien des mémoires, en attendant qu'un label ressorte enfin ses disques, on peut chez nous, et pas seulement, disposer désormais du plaisir de goûter à loisir les paroles de 348 chansons regroupées dans une intégrale de mille pages: «Le Grand Chambardement» (Cherche-midi, 2013). Recueil où tout amateur de rimes pourrait savourer les mots qui s'y tiennent avec une judicieuse élégance bien que dépouillée de leur prosodie musicale. Un ouvrage préfacé par Charles Aznavour («Il est sans conteste un des quelques géants dans l'univers de notre chanson et tient une grande place dans le petit cercle de mes préférences») et commenté par Jean-Claude Carrière («Un jour - qui sait? -, il fera partie de la bande de ceux qui ont disparu, et dont les chansons, infatigables, courent les rues. Mieux vaut ça que de brailler quelques années avant de se taire pour toujours»), François Morel («Les chansons de ce monsieur, qu'il m'arrive de mal imiter en frappant frénétiquement sur mon ventre une guitare imaginaire, m'accompagnent tous les jours») ou Francis Cabrel («Une poésie courtoise, virevoltante de charme, d'intelligence, comme une gourmandise pour tous, petits et grands. Des chansons qui se lisent, qui disent, qui nous émeuvent ou nous amusent. Une vraie science que possède Guy Béart»). N'en jetez plus! G u y B é a r t. Ce nom qui, depuis l'apostrophe d'un Gainsbourg tout à son cinéma chez Bernard Pivot, suscite un sourire bébête chez ceux qu'encombre une culture faux-cul. Lui, Béart, l'ingénieur des Pont et Chaussées, bilingue en anglais, passé maître aux échecs et chanteur pour s'amuser, en 1957, avec le respect d'Aragon, de Louise de Vilmorin, ou de Georges Brassens qui, lorsque Béart lui présenta ses premières chansons, approuva: «Il sait les faire!». En 1979, pour enfoncer le clou, Brassens assurait: «S'il fallait faire un palmarès de mes chanteurs préférés, je dirais qu'en France il y a cinq grands: Charles Trenet, Tino Rossi, Jacques Brel, Jean Ferrat et Guy Béart. J'insiste sur Guy Béart, car on l'oublie toujours.» Déjà!... Puisque la côte de Béart pâtit d'a priori tenaces, il n'est pas inutile de citer ses prestigieux admirateurs pour le situer. Les géants, en général, ne reconnaissent-ils pas leurs pairs? Un jour Béart sera de nouveau célébré et les nigauds trouveront chic de l'encenser.
Baptiste Vignol