Cher Christophe Conte,
comme quelques milliers de lecteurs, si j'achète les Inrocks chaque mercredi, c'est aussi pour ton «billet dur», un modèle de microcritique qui vise toujours au millimètre sans pour autant être parfaitement méchante puisqu'écrite avec une familiarité qui est sans doute ta marque de fabrique. Bien sûr, il y avait eu ce dérapage du mois de mars 2012 où tu t'échinas à mordiller les mollets de Murat; mais tu n'es pas un chien de garde que je sache! Dieu merci, ou Diable, c'est selon, l'ensemble de ton œuvre rachetait ce faux pas. Cette semaine, en revanche, en voulant t'offrir le scalp de Cabrel, tu tombes dans la vulgarité. L'objet de ton courroux? VISE LE CIEL, le prochain disque de Francis, qui serait, annonces-tu, une compilation de reprises de Dylan. Et là, tu tends la corde de ton arc: «Tenter l'escalade d'un tel monument constitue au mieux la preuve d'une grande inconscience, au pire celle d'un narcissisme en béton armé.» Gros béta, va. En deux lignes seulement, tu nies le talent d'auteur de Cabrel, remarque, c'est ton droit, mais surtout, plus fâcheux, tu expédies cet art que peut être la traduction littéraire. Rappelle-toi Baudelaire au bon vieux temps et songe à Claro de nos jours... Tes raccourcis font peine à lire: respectable quand elle est réalisée par des anglo-saxons (à moins que My way, What now my love, If you go away, Beyond the sea ne soient que bouses à tes oreilles), l'adaptation textuelle d'une chanson serait forcément méprisable quand elle est signée par des Français. Cet exercice, tu sais, ne se résume pas qu'aux vieux succès des yé-yé francisés par les Chaussettes noires, Frank Alamo ou Richard Anthony. Frank Thomas et Jean-Michel Rivat, par exemple, ont de manière impeccable adapté Ode to Billie Joe (Marie-Jeanne) pour Joe Dassin, Graeme Allwright Suzanne de Cohen, Renaud (eh oui mon canard!) certaines chansons du répertoire irlandais, Jacques Duvall, pour clore ce chapelet, offrant en 1980 à Lio - qui était alors la plus sexy des chanteuses que la terre ait jamais portée - une reprise, Amoureux solitaires, bien supérieure à l'originale (Lonely Lovers d'Elli et Jacno). Immense chanson d'amour... En se glissant dans l'univers de Dylan, Cabrel, qui n'en est pas à son coup d'essai (écoute plutôt ce qu'il a fait de Rosie de Jackson Browne ou de Mama don't de JJ Cale), pourrait bien t'étonner, ce qui t'obligerait à te dédire, puisque tu es un garçon honnête, voire à tremper ta plume dans l'encre de tes yeux pour t'excuser. Enfin, ton allusion à Renaud ne te grandit pas davantage tant elle est dégueulasse, et ta pichenette à Duteil qui aurait «la guitare d'Hendrix qui le démange» complètement hors sujet car s'il est une qualité qu'on ne peut pas retirer au bon Yves - là, tu vas pouffer...-, c'est la finesse de son doigté sur les cordes d'une guitare. Si tu le croises un jour, demande-lui de te montrer; tu en resteras coi. Un billet dans le dur, donc, qu'il faudra te faire pardonner pour retrouver ta place dans le trafic. Je ne t'embrasse pas, c'est une question d'équilibre.
comme quelques milliers de lecteurs, si j'achète les Inrocks chaque mercredi, c'est aussi pour ton «billet dur», un modèle de microcritique qui vise toujours au millimètre sans pour autant être parfaitement méchante puisqu'écrite avec une familiarité qui est sans doute ta marque de fabrique. Bien sûr, il y avait eu ce dérapage du mois de mars 2012 où tu t'échinas à mordiller les mollets de Murat; mais tu n'es pas un chien de garde que je sache! Dieu merci, ou Diable, c'est selon, l'ensemble de ton œuvre rachetait ce faux pas. Cette semaine, en revanche, en voulant t'offrir le scalp de Cabrel, tu tombes dans la vulgarité. L'objet de ton courroux? VISE LE CIEL, le prochain disque de Francis, qui serait, annonces-tu, une compilation de reprises de Dylan. Et là, tu tends la corde de ton arc: «Tenter l'escalade d'un tel monument constitue au mieux la preuve d'une grande inconscience, au pire celle d'un narcissisme en béton armé.» Gros béta, va. En deux lignes seulement, tu nies le talent d'auteur de Cabrel, remarque, c'est ton droit, mais surtout, plus fâcheux, tu expédies cet art que peut être la traduction littéraire. Rappelle-toi Baudelaire au bon vieux temps et songe à Claro de nos jours... Tes raccourcis font peine à lire: respectable quand elle est réalisée par des anglo-saxons (à moins que My way, What now my love, If you go away, Beyond the sea ne soient que bouses à tes oreilles), l'adaptation textuelle d'une chanson serait forcément méprisable quand elle est signée par des Français. Cet exercice, tu sais, ne se résume pas qu'aux vieux succès des yé-yé francisés par les Chaussettes noires, Frank Alamo ou Richard Anthony. Frank Thomas et Jean-Michel Rivat, par exemple, ont de manière impeccable adapté Ode to Billie Joe (Marie-Jeanne) pour Joe Dassin, Graeme Allwright Suzanne de Cohen, Renaud (eh oui mon canard!) certaines chansons du répertoire irlandais, Jacques Duvall, pour clore ce chapelet, offrant en 1980 à Lio - qui était alors la plus sexy des chanteuses que la terre ait jamais portée - une reprise, Amoureux solitaires, bien supérieure à l'originale (Lonely Lovers d'Elli et Jacno). Immense chanson d'amour... En se glissant dans l'univers de Dylan, Cabrel, qui n'en est pas à son coup d'essai (écoute plutôt ce qu'il a fait de Rosie de Jackson Browne ou de Mama don't de JJ Cale), pourrait bien t'étonner, ce qui t'obligerait à te dédire, puisque tu es un garçon honnête, voire à tremper ta plume dans l'encre de tes yeux pour t'excuser. Enfin, ton allusion à Renaud ne te grandit pas davantage tant elle est dégueulasse, et ta pichenette à Duteil qui aurait «la guitare d'Hendrix qui le démange» complètement hors sujet car s'il est une qualité qu'on ne peut pas retirer au bon Yves - là, tu vas pouffer...-, c'est la finesse de son doigté sur les cordes d'une guitare. Si tu le croises un jour, demande-lui de te montrer; tu en resteras coi. Un billet dans le dur, donc, qu'il faudra te faire pardonner pour retrouver ta place dans le trafic. Je ne t'embrasse pas, c'est une question d'équilibre.
Baptiste Vignol