Il vient de sortir un disque foudroyant,
FLIRT. Un recueil de chansons foncièrement originales qui déstabilisent et peuvent susciter l'incompréhension tant elles lèvent le voile sur de nouveaux panoramas. Un disque hors norme violemment critiqué par certains journalistes qui - pour prendre la pose et paraître dans le coup ?- avaient porté aux nues le ronflant P
HILIPPE KATERINE en 2010. Bizarre... «Un Chef-d'œuvre» disaient-ils, dont nul ne parle plus aujourd'hui. En revanche, il faut découvrir
FLIRT car cet album sera cité comme une référence dans vingt ans. D'ici là, Damien répond à quelques questions naïves nées pendant l'écoute de ce disque miraculeux.
Sur la pochette de FLIRT, on vous voit faire un baisemain. S'agirait-il d'un disque mondain?
Damien - Pourquoi pas mais à la manière d'un dissident alors, car le baisemain mondain ne se pratique jamais en extérieur ni sur une jeune fille... Là, on bascule donc dans le domaine du flirt, sous l'égide d'une mise en scène religieuse. Règles et interdits, voilà un bon terreau pour la romance.
«C'était si fort / C't' aprèm' encor / Dis-moi, tu m'dragues ou quoi?» (Drague). Chanson d'ouverture et peinture parfaite de ce «tourbillon fragile» dont parlait un autre french lover, moustachu, Christophe, dans Le tourne-cœur. Christophe, ça vous les frise?
-Peinture... un terme seyant... en revanche je ne connais pas Le tourne-coeur de Christophe, je ne connais quasiment aucune de ses chansons à vrai dire, mais son style a un certain chien et ça, ça me moustache déjà.
Qui a réalisé le clip de Drague, avec cette vélocycliste aux fesses idéales? Tourné au mois d'août à l'aube pour les scènes extérieures dans Paris? Et pourquoi ce perroquet sur l'épaule?
-Je l'ai réalisé moi même, et tourné à l'aube en été oui... c'est la seule solution pour capter ces espaces vides, à moins de figer le temps ou de vivre dans le futur... dans une reproduction digitale de Paris par exemple. J'aime construire les plans comme on le faisait dans la peinture classique... L'imagerie est codée et offre une seconde lecture, chaque élément est à sa place et fait office de symbole.
Le perroquet sur mon épaule est un gris du Gabon, la race qui parle le mieux. La symbolique du perroquet est multiple : par exemple dans l'art chrétien occidental il fut souvent associé à la vierge Marie tandis qu'au Moyen Orient et en Inde, c'est le gardien de la vérité.
Dans Pourtant, deuxième chanson du disque, sur la montée du désir, vous évoquez ces «flux de salive», «ce sentiment bizarre» dont parlait également le chanteur de charme Jean-Louis Murat dans Sentiment nouveau. Jean-Louis Murat, ça vous... volcanise?
-Je ne connais pas la musique de Jean-Louis Murat et je comprend mal la définition de chanteur de charme ou de crooner. Si l'on peut les définir ainsi, j'aime Gainsbourg, Julien Clerc, John Lennon, Frank Sinatra... «Croon» signifie «murmurer», pourtant Sinatra gueule pas mal... alors? En tout cas, de façon générale, je pense qu'en chanson il faut séduire, on est pas là pour parler politique... Certes il faut quelques coups de fouet aussi pour amplifier la sensation de la caresse qui suit.
«C'est quand même plutôt rare d'aimer vraiment quelqu'un d'amour / On dit que c'est encore plus rare d'aimer cette personne toujours...» (Marie-Jeanne). Tel Homère dans «L'Iliade et l'odyssée», vous utilisez ici le vers à quatorze pieds qui donne, comme chacun sait, de l'ampleur au texte et de l'harmonie au chant. Homère, que Dante qualifiait de «Seigneur du chant». Homère, ça vous modèle?
-Homère a t-il vraiment existé?... Les paroles me viennent souvent en même temps que la musique... comme une envie de pisser et surtout lorsque je suis en mouvement, dans la rue par exemple. Parfois elles peuvent arriver avant la musique et vice et versa mais je n'ai pas de technique d'écriture fixe. Ce qui est certain c'est qu'il faut toujours chercher le feeling de l'instantanéité, même en différé, et cela ne doit pas non plus aller à l'encontre de la sophistication.
Impossible de ne pas songer à Marie-Jeanne de Joe Dassin, qui était, rappelons-le, un modèle d'adaptation signée Jean-Michel Rivat et Frank Thomas du standard de Bobbie Gentry Ode to Billie Joe. L'impressionnisme de la folk américaine des années 60, ça vous parle?
-J'écoute les grands classiques qui ont traversé le temps pour parvenir jusqu'à mes oreilles, mais surtout je préfère reprendre la route musicale là où se sont arrêtés mes proches aînés, à la façon d'un passage de relais. En tant qu'artiste je trouve cette démarche plus progressiste. Je suis né dans les années 80 et j'ai grandi avec des musiciens qui avaient déjà assimilé puis fait évoluer divers styles en les mélangeant à d'autres styles. Plutôt que de toujours retourner à la source et afin de poursuivre cette évolution, je suis assez adepte de l'idée de mélange de mélanges. Aussi je ne suis pas un fouilleur de raretés et je crois que pour être un musicien d'exception il faut - dans une certaine mesure - limiter sa culture musicale.
«J'ai récupéré ta salive au dos du timbre poste» (Timbre poste). Vous commencez ce bijou par «De ton pays / Tu m'as posté une lettre». Ok. Mais quel est donc ce pays où l'on peut encore acheter des timbres enduits de colle qu'il faut lécher avant de les coller sur une enveloppe? En France, les timbres sont maintenant autocollants... Et puis d'où vient cette fille qui prend la peine d'écrire encore à la plume à l'ère d'Internet?
-Je suis un metteur en scène alors la fille peut être d'un autre siècle, c'est une incarnation de l'éternel féminin. Aussi le romantisme de certains objets se perd mais la mode des timbres à lécher va revenir... Pour évoluer il faut être exhaustif puis, après une phase de recul, choisir la meilleure solution, qui ne s'avère donc pas forcément être la dernière en date; ce qui fait que nous vivons avec divers objets régressifs. La société comprendra que de produire un minimum d'efforts n'est finalement pas le top et que l'hygiène extrême est mauvaise pour la santé, et les timbres à lécher reviendront, mais les magnétoscopes VHS eux, non. Quoique.
Quant à internet, on en est encore aux balbutiements. C'est un outil formidable mais non optimisé, bordélique, chronophage et addictif. Le temps que tout ça se mette en place et pour leur bien être, de nombreuses personnes vont commencer à raccourcir leur temps de connection, désystématiser leur fréquentation des magasins virtuels et parfois écrire au stylo.
Alléchant d'imaginer sur Timbre poste un clip tout en langues féminines roses et appliquées, non?
-Eh oui, voilà pourquoi plusieurs couples se sont formés à la Poste.
«On s'est vus un jour puis on s'est embrassés toute la journée / J'veux l'faire encore!» (Renouveau). La violence de certaines critiques sur la naïveté crue de vos textes et l'apparente indolence de vos interprétations vous a-t-elle étonné? Au fond, les journalistes sont-ils les mieux placés pour juger du renouveau salutaire qu'insuffle parfois un chanteur dans la variété sclérosée?
-Les textes de FLIRT ne sont pas naïfs, ils sont purs, et mon interprétation n'est pas nonchalante mais très précise dans sa dissymétrie. Me soumettre à la dictature de la voix 90 60 90 eût été de mauvais goût sur ce disque. Les rythmiques sont mécaniques et il fallait créer le contraste pour atteindre cette émotion particulière, ce charme erratique qui va avec le thème du disque.
Les journalistes qui critiquent sans comprendre sont des crétins, les mêmes qui disaient que Charlotte Gainsbourg chantait mal sur Lemon incest ou qu'Elli & jacno c'était de la merde (et que maintenant c'est cool). Mais ça ne m'étonne pas du tout, le milieu de la critique musicale regorge d'amateurs incultes, de suiveurs peureux et de profiteurs flemmards. Les gens ayant un avis personnel, maîtrisant leur sujet, sont rares dans le métier. D'un autre côté, j'ai reçu pas mal d'éloges... Diviser l'opinion c'est toujours bon signe.
«Quand je t'ai connue / Tu portais un jean bleu ciel...» (Vraiment) Deuxième chef-d'œuvre du CD. Six minutes vingt-huit pour un slow irrésistible. Le tout évoquant subitement, sur le mot «lycéenne», la modernité d'un Yves Simon 73-77. Yves Simon, ça vous barbe?
-Merci... D'Yves Simon, je connais
Diabolo menthe, j'aime beaucoup... On peut vraiment faire un lien avec
Vraiment sauf que la mienne vise quelque chose d'encore plus universel et ultime quand on parle français. Ça ne veut pas dire que je préfère ma chanson hein... Je n'entend plus mes chansons.
Même chose pour le clip? Qui l'a réalisé? Tourné dans quelle(s) ville(s)?
-Moi-même encore, entre Paris, Abu Dhabi, Lisbonne, Pékin et Istanbul.
Un chanteur qui voyage laisse-t-il voyager son cœur?
-Le voyage oxygène l'esprit et permet de prendre du recul, deux qualités essentielles pour un artiste. Aussi le cœur se charge de cette matière nouvelle dont sont faits ces mondes parrallèles. Je suis très sensible aux lieux et aux climats ainsi qu'au mouvement, donc les voyages m'inspirent.
Pour écrire des chansons! Mais «cette chanson, à quoi elle sert?» demandez-vous dans Adolescente. Alors, pour fredonner du Charles Dumont, «une chanson, à quoi ça sert, une chanson?».
-Le format chanson me plait. Il est sans prétention et populaire, mais permet l'ambition artistique. C'est un art qui a encore une bonne marge d'évolution devant lui, surtout en France.
Le huitième morceau du disque, d'un calme olympien, s'intitule justement Olympien. Et vous plantez le décor: «Un après-midi je t'attendais à côté d'une fontaine sur un banc en face de l'église d'un village de trois cent habitants...» Chanson contemplative - où comment tout dire en une minute et dix secondes - dans laquelle on pourrait entrevoir le reflet du Nino Ferrer barbu période La Martinière.
-C'est une chanson définitive en effet... L'infiniment petit et l'infiniment grand se rejoignent pour ne plus faire qu'un. Cette facette vieux sage, je l'ai depuis que je suis né et je la garderai toute ma vie.
«Elle rêvait de princes charmants / Mais ils n'arrivent pas / Alors elle se lance...». Pas vu a l'efficacité des vieux tubes imberbes de Daho. Étienne Daho, ça vous rase?
-Week-end à Rome est un bon exemple de tube. Un tube, un vrai, ça parle au corps et à l'instinct, c'est une formule magique imparable, un style de musique noble et irrésistible quand il est maîtrisé. Ça n'est pas un single qui s'impose à force de bombardements radio. Ça n'est pas non plus le must : les grandes chansons ne sont pas forcément des hits. Il y a certaines règles à respecter pour faire un vrai tube, et pour le moment je ne les ai jamais toutes respectées... C'est un choix conscient, notamment dans Pas vu. Mais j'aborderai ce style tôt ou tard.
Sympathiques, malgré son titre contemporain, a tout des chansons du folklore qu'interprétait avec classe Jacques Douai. «Va, jeunette / Cloue le temps»... Une mélodie épatante!
-En art, il faut soit inventer soit créer des classiques. L'avant-garde ou le folklore. Et je suis pareillement heureux si je parviens à attraper l'un ou l'autre. Jacques Douai est un superbe interprète qui m'a fait découvrir des chansons qui continueront de traverser le temps tant elles sont pures... Je pense à L'amour de moy par exemple... C'est dans le respect de cette intemporalité que j'ai conçu Sympathiques.
Deux mots sur vos musiciens?
-Leur interprétation est hyper subtile, ils jouent même des notes que l'on ressent sans réellement les identifier : Gonzales au piano, maître du pianissimo; Bj Cole à la pedal steel, qui a accompagné Elvis Costello, The stranglers... et qui est capable de jouer de la musique classique à la pedal steel sans sonner country ou hawaien; Joce Mienniel au sax, un jazzman surdoué qui a joué sur un très vieil instrument, et enfin Richard Croft à la trompette, un amateur anglais inconnu que je n'ai croisé que le temps de la prise sur la péniche où j'enregistrais mes voix.
Où voliez-vous sur la photo intérieure du livret, prise à quelques milliers de mètres d'altitude?
-Je ne sais plus... C'est un flirt avec le ciel.
Dernière question - la saisiront ceux qui possèdent votre disque: où se trouve le temple de l'amitié?
-À Paris, caché derrière la rue Jacob, dans le bois Visconti...
(Entretien: Baptiste Vignol)