Le parterre et le paradis


Il faut zieuter W9 et ses clips qui tournent en rond pour tomber sur la plus belle chanson de l'été : L'Envers du paradis. Une chanson lumineuse qu'aurait pu chanter Étienne Daho période POUR NOS VIES MARTIENNES (1988) et qui dès lors aurait fait l'unanimité. Sauf qu'à la place du dandy de la variété, et l'on y perd rien au change, l'interprète s'appelle Jenifer. Jenifer Bartoli, niçoise de naissance, dont on s'est tant moquée parce qu'elle fut la première à gagner Star Académy, qu'on n'a jamais voulu prendre au sérieux, s'avère ici, sous son visage inca, d'une justesse miraculeuse.
À découvrir cette vidéo où, invitée sur NRJ par Nikos Aliagas (qui ne trouve rien de plus malin que de jouer au photographe, ce désir imbécile de toujours vouloir se distinguer...), Jenifer, devant un parterre trop assis de fans paparazzi, interprète en direct et sans faire de tralalas L'Envers du paradis, les yeux fermés, toute seule avec sa chanson. L'essentiel n'est pas d'avoir des émotions, ce qui est à la portée de chacun, mais de les provoquer, ce qui est un art. L'éclosion d'une artiste est toujours un moment délicieux.

Baptiste Vignol


L'autoportrait d'Allain Leprest


Non, Allain Leprest n'était pas Rimbaud comme on peut le lire ici ou là. Telle comparaison, facile et surfaite, l'aurait d'ailleurs énervé, lui qui l'avait chanté, le poète (Rimbaud), sur une musique de Francis Lai: "Y en a qui diront qu'ça fait plus coquet,/ Quand on a tout dit, d'partir avant les/ Ratures/ Que d'dans comme dehors, on reste sur Terre/ Qu'après tout, on n'a qu'l'âge de ses artères/ Arthur/ T'avoueras quand même qu'c'est pas des manières/ D'partir en laissant la moitié d'un verre/ D'absinthe/ Et pis d'enfanter une génération/ En laissant la mère, sans rien, sans pognon/ Enceinte."
Allain Leprest était plus simplement un grandiose parolier doublé d'un interprète à fleur de peau pour lequel avaient composé Richard Galliano, Romain Didier, Jean Ferrat, Gilbert Laffaille, Kent, Gérard Pierron, Yves Duteil, Étienne Goupil, etc., mais dont les disques, hélas, pêchaient par une réalisation pâlichonne. J'avais eu la chance de l'approcher en 1996 sur le plateau de La Chance aux chansons où je venais d'être embauché. Pascal Sevran, malgré d'insupportables tares, aimait assez la ritournelle pour être le seul homme de télévision à tendre un micro à Leprest. L'occasion de constater qu'en 96, certains disaient déjà d'Allain Leprest qu'il était "le plus grand de sa génération". (Leprest chante, parle et c'est ici) Les soi-disant "spécialistes" de la chanson qui ne lui ont jamais consacré de portrait sont sans excuse et devraient rendre leur tablier.
Alors que quinze ans plus tard, par courrier, je lui demandai quelles étaient ses dix chansons préférées, celles qu'il aurait aimé écrire en somme, voilà ce qu'il me répondait - ces deux pages, toutes d'humilité, faisant peut-être son plus authentique portrait.


(Cliquer sur l'image pour zoomer)

Il n'avait que 57 ans et encore probablement des dizaines de couplets dans la manche. La mort d'Allain Leprest est donc une perte tragique pour la chanson française.

Baptiste Vignol

Benjamin Locoge, décidément


Dans un entretien paru dans Paris Match (du 4 au 10 août 2011), Eddy Mitchell explique avoir été le premier chanteur français au début des années 70 à glisser dans ses couplets des thèmes sociaux ordinaires tandis qu'un Chuck Berry par exemple, et depuis fort longtemps, «parlait dans ses chansons aussi bien d'histoires de cul, de bagnoles que de choses de tous les jours. En France, il n'y avait rien dans ce genre-là.». Forcément, et sans vouloir contredire le crooner, on pense à Michel Delpech qui se singularisait par la même approche textuelle. Benjamin Locoge, lui, qui visiblement veut toujours avoir le dernier mot, mais ne semble pas connaître le répertoire de Delpech, nuance mal à propos:
-Il y avait Étienne Roda-Gil...
Et pourquoi pas Michel Jourdan*, Benjamin?
Ce bon Locoge serait-il donc le seul à décrypter dans les textes du parolier de Julien Clerc et d'Angelo Branduardi une lecture sociétale propre aux seventies?
Par ailleurs, Mitchell clôt l'entretien avec ce constat adressé aux patrons de labels : «Les disques faits dans les caves, franchement, ça n'a jamais fait rêver. Les maisons de disques sont devenues frileuses. Pour elles aujourd'hui, moins un disque coûte cher, meilleur il est. Mais elles ont tort car, pour avoir de la création, il faut du pognon. C'est aussi simple que ça.»

*Michel Jourdan, auteur de l'essentiel des succès de Mike Brant.

Vous avez dit «Franco»Folies?


Sur son blog, Norbert Gabriel s'émeut que le festival des Francos ait programmé pour la soirée du 14 juillet 2011 place Saint-Jean d'Acre des artistes chantant en anglais. Bien sûr on pourrait aisément se dire qu'il vaut toujours mieux écouter Revolver, Yodelice ou Izia massacrer la langue de McCartney que Zaz ou Christophe Maé miauler en français... Mais Vincent Baguian qui voit juste rectifie : «Ça devient du vol d'avoir pour nom "Francofolies", ils n'ont qu'à s'appeler "Les Folies de la Rochelle"! Il en est de même des chanteurs français que de la condition féminine. L'égalité existera quand on admettra des incompétents à des postes enviés.» C'est bien vu, et à lire ici puisque certains débats qui pourraient paraître d'arrière-garde méritent d'être tenus.

Avec un B comme Baguian


Dans Voici (du 6 au 12 août 2011), Fabienne Hauchart, pourtant critique avisée de la variété, interroge Colonel Reyel, dont trois morceaux affichent 120 millions de vues sur internet! «Tu as beaucoup de détracteurs concernant tes paroles, notamment Vincent Baguian, l'un des paroliers de Florent Pagny, qui écrit que tu as "l'analyse d'un bulot"» s'amuse la journaliste. Oui, Fabienne, sauf que Vincent Baguian (qui a consacré ici-même un article lumineux sur Aurélie, l'un des tubes du dit Colonel) n'est pas que le parolier d'un titre de Florent Pagny - et d'une quinzaine de chansons de Mozart, l'Opéra rock -, il est d'abord l'auteur-compositeur de trois albums honorés par l'Académie Charles Cros. Dès lors, que le Colonel réponde «je suis flatté qu'il me connaisse mais moi, je ne connais pas ce monsieur» n'est guère étonnant.

L comme


À la lettre L de l'alphabet de la variété française, il y a légion de chanteuses à initiale et prénoms. L, Lise, Loane, Luce... Laquelle louer? L, pour son admirable et ferréenne Petite ? Loane, dont les 4 premiers titres du deuxième album LE LENDEMAIN (On s'en fout, Boby, Rien de commun, Parfum de fille) laissent penser à qui le découvre qu'il tient là l'un des disques pop de l'année? Luce? Qu'il faudra bien écouter, tôt ou tard... Ou Lise, vocalement la plus «facile» comme on dit d'un tennisman quand il transpire le talent? Une chanson de Lise à s'offrir en priorité? La vénéneuse C'est doux. «C'est vrai que c'est pas triste/ De suivre le jeu de pistes/ De tes veines sous la peau...» Aurait-on gagné là une héritière de Barbara?

Oh! Les beaux titres


Comme l'on prénomme un enfant, les poèmes, livres et chansons reçoivent un nom, qu'on appelle, noblesse oblige, titre. C'est important un titre. Réussi, il sera comme une porte qu'on a envie d'ouvrir, une invite, une œillade. Tout commence par le titre. Brassens, Trenet, Brel, Barbara, Renaud, Souchon en sont des spécialistes. Rayon littérature, Françoise Sagan en était une orfèvre qui les piochait dans l'œuvre d'Éluard («Adieu tristesse/ Bonjour tristesse/ Tu es inscrite dans les lignes du plafond...» La Vie immédiate; «Et je la vois et je la perds et je subis/ Ma douleur, comme un peu de soleil dans l'eau froide...» Vivre ici), de Racine («Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous/ Seigneur, que tant de mers me séparent de vous...» Bérénice, acte V, scène 4), de Baudelaire («J'aime les nuages... les nuages qui passent... Là-bas... Là-bas... les merveilleux nuages...» L'étranger) et avait fait de sa bibliographie une poésie.
La liste des titres du prochain Jean-Louis Murat dévoilée le 25 juillet 2011 par Libération (Les rouges souliers, La lettre de la Pampa, Le champion espagnol, Il faut vendre les prés, Haut Arverne, Je voudrais me perdre de vue, Sans pitié pour le cheval, Rémi est mort ainsi, etc.) met l'eau à la bouche. Le chevalier Murat serait-il vraiment de retour? Réponse en octobre.

Reprendre Enrico


Question titres, Benjamin Biolay n'est pas un cave non plus. Son dernier album sorti dans la foulée du film de Katia Lewkowicz «Pourquoi tu pleures?» dans lequel le chanteur se révèle être le nouvel Yves Montand, aussi crédible en studio qu'à l'écran, n'est pas qu'une parenthèse dans sa discographie. Il contient quelques chansons originales qu'un Murat, qu'un Miossec n'auraient pas reniées (Pas la forme; Le bonheur, mon cul; L'amour à mes pieds). Agaçant Biolay, trop «facile» et bluffant quand il reprend Macias (Reste-moi fidèle) et Dario "Cole" Moreno (C'est magnifique). Au fait, qu'en pense Benjamin Locoge?

Baptiste Vignol