Qui est le plus nocif pour notre chère variété ? Pascal Obispo, Daniela Lombroso ou l’obscur programmateur d’NRJ, d’RTL ou de Fun Radio? Ce dernier, pardi. D'ailleurs, pour coller à l'époque, il faudrait pouvoir détenir les noms des programmateurs radio, établir des fichiers, comparer leur C.V., savoir avec qui ils couchent, ou chez qui ils découchent... et les contraindre à passer un C.A.P. “Boucherie” chaque fois qu’un label remercie un jeune A.C.I.! Car l’industrie du disque (grâce à laquelle pouvaient vivre des milliers d’intermittents, du musicien au choriste en passant par l’ingénieur du son, le roadie, le directeur artistique, l’attaché de presse…) touche presque à son terme fatal, n’en déplaise au journaliste Emmanuel Marolle qui s’enthousiasme dans Le Parisien du 12 juillet 2010 : “Le CD est bien vivant”, appuyant sa démonstration sur le succès des Prêtres, de Christophe Maé et des Enfoirés. L’article de Bayon (Libération du 15 juillet) sur l’obligation d’un Pierre Schott de fabriquer lui-même ses albums s’avère plus éloquent…
Donner le goût, l’envie, de découvrir et partager, susciter la curiosité; voilà quels auraient dû être les moteurs du métier de programmateur. Mais ces piètres queux-là ne proposent que du tiède, du réchauffé, un brouet mille fois ravalé. Sans parler des critiques qui s’enflamment souvent pour le déjà-vu (penser à cette réflexion: "Cela me rappelle untel ou une telle"), ni des spots télévisés promotionnant des CD dont les concepteurs interdiraient l’écoute à leurs propres enfants.
Prenons Erik Arnaud, dont le troisième album, L’ARMURE, vient de paraître, huit ans après le précédent. “On naît avec des tonnes de chansons dans la tête,/ Elles résonnent sans raison/ On siffle des mélodies à la con/ De Johnny H., Claude F., je donne pas de nom” raillait-il en 2002 (French musique). Dans Chronic’Art, il expliquait: “Petit, j’en ai bouffé de la chanson française. Le problème, c’est qu’on ne propose que ça aux gamins. La musique qui passe à la radio masque tout le reste. Donc, on peut en vouloir aux gens qui font cette musique, ou à ceux qui la programment en permanence.” À “trop [lui faire] bouffer de la chanson de mauvaise variété” (French musique), le grand public souffrirait aujourd’hui d’agueusie.
L’ARMURE vient de sortir chez un indépendant (Monopsone records). Pourquoi ne l’entend-on nulle part? Voilà un disque remarquable. Cru, sanguin. Qui contient de potentiels singles (Cheval, Nous sommes, Rocco) et une reprise impressionnante d’un titre de Gérard Manset (Vies monotones*). Dix chansons exprimées sans ménagement avec une clarté confondante. Car ce qui marque chez Arnaud, c’est l’interprétation, tellement limpide qu’on se le figure prononcer ses mots, sur un parlé-chanté faussement nonchalant, authentique, mieux: sincère, visiblement pétri d’honnêteté. De quoi émouvoir, intriguer et vouloir réécouter! Tous les ingrédients en somme du disque réussi, qu’on finit par se passer en boucle. Mais les programmateurs, poïkilothermes, semblent désormais incapables de sentiment. Voilà pourquoi il faudrait prendre d’assaut leurs misérables bureaux, et leur fiche sous le nez le site jedeviensboucher.com, les menacer de stages en abattoirs, qu’ils en prennent plein la figure, des giclées, qu’ils se salissent les mains et respirent l’odeur de la chair, qu’ils redeviennent humains et les voient reluire de près, ces crocs de boucher auxquels ils ont pendu la chanson française.
Baptiste Vignol
* Sur son premier album, ©1998 AMÉRIK, Arnaud érigeait Manset comme modèle, un modèle décourageant: “J’ai appelé Manset/Il m’a dit je voyage en solitaire/ M’a raccroché au nez/ Mais nul ne m’oblige à me taire…” (Ma chanson française).
Donner le goût, l’envie, de découvrir et partager, susciter la curiosité; voilà quels auraient dû être les moteurs du métier de programmateur. Mais ces piètres queux-là ne proposent que du tiède, du réchauffé, un brouet mille fois ravalé. Sans parler des critiques qui s’enflamment souvent pour le déjà-vu (penser à cette réflexion: "Cela me rappelle untel ou une telle"), ni des spots télévisés promotionnant des CD dont les concepteurs interdiraient l’écoute à leurs propres enfants.
Prenons Erik Arnaud, dont le troisième album, L’ARMURE, vient de paraître, huit ans après le précédent. “On naît avec des tonnes de chansons dans la tête,/ Elles résonnent sans raison/ On siffle des mélodies à la con/ De Johnny H., Claude F., je donne pas de nom” raillait-il en 2002 (French musique). Dans Chronic’Art, il expliquait: “Petit, j’en ai bouffé de la chanson française. Le problème, c’est qu’on ne propose que ça aux gamins. La musique qui passe à la radio masque tout le reste. Donc, on peut en vouloir aux gens qui font cette musique, ou à ceux qui la programment en permanence.” À “trop [lui faire] bouffer de la chanson de mauvaise variété” (French musique), le grand public souffrirait aujourd’hui d’agueusie.
L’ARMURE vient de sortir chez un indépendant (Monopsone records). Pourquoi ne l’entend-on nulle part? Voilà un disque remarquable. Cru, sanguin. Qui contient de potentiels singles (Cheval, Nous sommes, Rocco) et une reprise impressionnante d’un titre de Gérard Manset (Vies monotones*). Dix chansons exprimées sans ménagement avec une clarté confondante. Car ce qui marque chez Arnaud, c’est l’interprétation, tellement limpide qu’on se le figure prononcer ses mots, sur un parlé-chanté faussement nonchalant, authentique, mieux: sincère, visiblement pétri d’honnêteté. De quoi émouvoir, intriguer et vouloir réécouter! Tous les ingrédients en somme du disque réussi, qu’on finit par se passer en boucle. Mais les programmateurs, poïkilothermes, semblent désormais incapables de sentiment. Voilà pourquoi il faudrait prendre d’assaut leurs misérables bureaux, et leur fiche sous le nez le site jedeviensboucher.com, les menacer de stages en abattoirs, qu’ils en prennent plein la figure, des giclées, qu’ils se salissent les mains et respirent l’odeur de la chair, qu’ils redeviennent humains et les voient reluire de près, ces crocs de boucher auxquels ils ont pendu la chanson française.
Baptiste Vignol
* Sur son premier album, ©1998 AMÉRIK, Arnaud érigeait Manset comme modèle, un modèle décourageant: “J’ai appelé Manset/Il m’a dit je voyage en solitaire/ M’a raccroché au nez/ Mais nul ne m’oblige à me taire…” (Ma chanson française).