Victoire


Par l'éditeur musical Laurent Balandras.
« La grande perdante de la soirée », cette phrase sibylline glissée çà et là dans divers comptes-rendus de la 25ème soirée des Victoires de la Musique afin d’évoquer Charlotte Gainsbourg a de quoi laisser pantois. Je ne peux personnellement que me réjouir du triomphe d’Olivia Ruiz, étant impliqué dans sa carrière depuis plus de huit ans (déjà). C’est là une reconnaissance obtenue à force de détermination, d’exigence, d’audace, sans concessions. On peut toutefois aimer une artiste jusqu’à la déraison sans en vouer une autre aux gémonies. Charlotte Gainsbourg a remporté bien des victoires ce soir-là, ô combien gratifiantes. Celle tout d’abord d’avoir été nominée dans trois catégories sans le poids d’une major. Mieux, son producteur, Emmanuel de Buretel, est un des personnages les plus controversés de la profession malgré des succès systématiques et un cheptel d’artistes remarquables, qui ne cessent de provoquer les rictus de ses détracteurs. Jamais tapageuse, arpentant son parcours avec un souci constant de qualité, que ce soit au cinéma comme dans la chanson, Charlotte est une interprète majuscule. Sa prestation dans l’hommage à Michaël Jackson, toute en finesse, déstructurant l’œuvre pour en livrer le texte brut, nous rappelant qu’une chanson est la composante de quatre facteurs fondamentaux à savoir, un texte, une musique, un arrangement puis un interprète, ne devrait pas provoquer les jugements parfois humiliant émis par nombre de bloggeurs. Fallait-il qu’elle se ridiculise en moonwalkant bêtement ou en singeant le remontage de couilles tels les milliers de clones pathétiques du King of Pop ? Soyons fiers qu’une artiste de cette envergure, qui a su inspirer - faut-il le rappeler ? - des cinéastes du calibre d’Emmanuele Crialese, James Ivory, Lars von Trier, Patrice Chéreau, Franco Zefirelli (pour n’en citer qu’une poignée), des chanteurs du niveau de Madonna, Etienne Daho, Divine Comedy ou Beck, qui cumule deux Césars, un Prix d’Interprétation à Cannes, ayant donné la réplique à Sean Penn, Gaël Garcia Bernal, William Hurt, Terence Stamp, entre autres, soit venue honorer de sa présence cette cérémonie. Charlotte est une artiste de la chanson depuis peu. Elle ne peut se targuer d’une expérience scénique solide et ses ressources vocales ne rivaliseront jamais avec quelque Susan Boyle que ce soit. Il n’empêche. Charlotte Gainsbourg est de ces rares personnalités que l’on peut qualifier de «star» sans en galvauder le sens. Affronter, en direct, un soir de cérémonie, un public essentiellement composé de professionnels blasés est une autre victoire remportée par Charlotte. Si elle fut donnée favorite, ce n’est pas de son fait. De nombreux médias claironnaient en chœur depuis des semaines l’adoubement d’une artiste qui n’en demandait pas tant. Les mêmes surlignent sa défaite depuis dimanche. Quelle injustice ! Si défaite il y a, elle revient aux pronostiqueurs qui ont annoncé Charlotte victorieuse comme d’autres prédisent les élections sur la base de sondages dont la valeur est une vaste fumisterie. On peut ne pas apprécier sa voix, ses chansons. On ne peut que la saluer d’avoir joué le jeu, pris des risques, et s’être imposée dans ce cercle restreint avec grâce et légèreté. Charlotte a gagné ses premières victoires de chanteuse haut la main.

Laurent Balandras