"Y a deux gros tchubes!"



Il n’y a jamais eu autant de musique et d’artistes qu’aujourd’hui, et pourtant l’industrie discographique bat de l’aile. Pire, ce marché dégringole de jour en jour. Son chiffre d’affaire a perdu 60% en sept ans (il représentait 1,3 milliard d’euros en 2002, et n’était plus que de 600 millions en 2008). Pour intégrer le top des 200 meilleures ventes en France, il suffit désormais d’écouler 250 CD en une semaine. Un pari à la portée de n’importe quel candidat au casting de la Nouvelle Star. Quand il fallait il y a peu vendre 100.000 albums pour décrocher un disque d’or, 50.000 font l’affaire aujourd’hui.
Alors, à qui la faute? Les patrons de label incriminent d’ordinaire le piratage pour justifier ces chiffres, le prix du cd, le taux de TVA... Mais aucuns n’évoquent leur propre responsabilité dans ce naufrage. Eux qui depuis la mort du vinyl – et la retraite des grands directeurs artistiques dotés d’un flair redoutable - ont pris du ventre en gérant un domaine dont ils méconnaissent l’Histoire, les figures, le public. C’est sous la tutelle de passionnés, de véritables découvreurs de talents, que la chanson française a vécu son Âge d’Or (1930-1980). Car Jacques Canetti (Trenet, Brassens, Gainsbourg, Brel ou Béart…), Eddie Barclay (Dalida, Aznavour, Léo Ferré, Jean Ferrat…), Claude Dejacques (Barbara, Nougaro, Le Forestier, Yves Simon...) ou Philippe Constantin (Higelin, Julien Clerc, Daho, les Rita Mitsouko…) aimaient tellement la musique, connaissaient si bien leur époque qu’ils étaient capables de déceler le talent.
L’archétype du producteur aujourd’hui serait Valéry Zeitoun. Popularisé en 2001 par l’émission Pop Star (M6) dont il était membre du jury, l’homme a révélé Chimène Badi. Bon. Bien. Cet “éleveur d’artistes”, tel qu’il se définit (cf. Wikipédia), s’occupe du label AZ chez Universal Music France.
Pour promouvoir leurs albums, de nombreux chanteurs publient sur internet des mini-vidéos montrant les différentes étapes de leur enregistrement, de l’écriture des chansons aux dernières séances-studio, quand les big boss du label débarquent pour découvrir les nouveaux morceaux. À l’occasion de la sortie de 1800 DÉSIRS de Martin Rappeneau, on pouvait voir, sur l’un de ces films promotionnels, Valéry Zeitoun étaler au débotté son sens inné de l’intuition.
Affalé dans un canapé, devant un Rappeneau plutôt intimidé, Zeitoun, qui semblait en pleine digestion, lacha devant la caméra, avec l’autorité du spécialiste: “Y a deux gros tchubes!” Quelle perspicacité! Et Martin Rappeneau en était tout soulagé. C’est ainsi qu’on tue la chanson, qu’on malmène la création : en la flagornant parce qu’on n’a rien d’autre à lui dire.
Les jeunes chanteurs prometteurs perceront d’autant mieux qu’ils cesseront de s’en remettre à des gens qui n’apprécient la Variété que pour ce qu’elle leur rapporte ; paillettes et monnaie.

Baptiste Vignol

Y a deux gros tchubes!