“À vous tous, à ma douce France, merci de m’avoir accompagnée toutes ces années, de m’avoir pris la main, […] d’avoir toujours cru que, en luttant pour moi, même si la France paraissait si lointaine, nous réussirions tous ensemble à faire la différence. […] Je vais très vite être avec vous, je rêve d’être en France. […] Je vous aime, vous êtes avec moi, je vous porte dans mon sang, je suis à vous. Merci la France.” Ingrid Bétancourt, mercredi 2 juillet 2008
La pléthore de refrains qui, depuis mai 68, a trouvé le succès en brocardant le pays, son pouvoir, son armée, sa police, son affaiblissement sur la scène internationale, laisse entendre que la France n’a plus rien de cette grande nation qui, autrefois, tout en se targuant de porter un message universel, parlait au monde et lui disait: “Nous tentons de construire chez nous une société plus juste, plus humaine et plus égalitaire.” Tranche de vie (François Béranger, 1969), J’m’en fous d’la France (Maxime Le Forestier, 1972), Hexagone (Renaud, 1975), Merde in France (Jacques Dutronc, 1985), La France (Zebda, 1990), Regarde un peu la France (Miossec, 1995), Un jour en France (Noir Désir, 1996), Jeune et con (Saez, 2001) témoignent toutes de ce postulat… Mais il faut dire que les Français n’ont pas l’âme patriotique ! Quand les Allemands, les Italiens, les Anglais, les Australiens portent leurs couleurs sur leurs t-shirts - ou leurs sacs-à-dos, très courant chez les routards –, quand l’Américain moyen les hisse dans son jardin, agiter le fanion tricolore s’avère suspicieux, emprunt d’un nationalisme nauséeux.
« Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres » disait le Général de Gaulle.
Pour parler des Français, Julien Clerc précisait, sur des mots d’Étienne Roda-Gil, issu d’une famille d’exilés espagnols : « Nous avons l’amour du nid/ Que certains appellent patrie » (Terre de France, 1974). Dix-sept ans plus tard, le nom de cette chanson prendrait racine sous la plume terreuse et contemplative de Jean-Louis Murat :« Je marche au matin/ Loin des embrunts/ Sur les terres de France/ Gorgées d’innocence… » (Terres de France).
On peut donc déduire de ces deux titres honorables le droit d’avoir la fibre française, sans céder au chauvinisme paillard d’un Michel Sardou (J’habite en France, 1970 ; Le temps des colonies, 1976 ; Ils ont le pétrole mais c’est tout, 1979; etc.) ! Pourtant, les Français se sont coupés de leurs emblèmes. N’en sommes-nous pas à siffler, dans une posture anarchisante, l'hymne patriote au Stade de France ? Si le sport a longtemps été le domaine où la passion nationaliste, l’exaltation du sentiment drapeautique, s’exprimait le plus favorablement, il cristallise aujourd’hui la crainte que ne dérivent les nationalismes. En 1973 déjà, Henri Tachan soulignait : « Ce s’rait chouette les Jeux Olympiques/ Si nom de Dieu, il n’y avait/ Leurs p’tits drapeaux/ Pour chaque nation/ Qui claquent au vent/ D’une musique militaire » (Les Jeux Olympiques).
France. Ce mot résonne encore quand il est invoqué, chanté quasiment, dans la voix d’Ingrid Bétancourt au nom de ce qu’elle n’a pas fini de suggérer, elle dont le génie “défendi[t] le droit des hommes, coutumière de tous les dévouements et de tous les devoirs…” (Victor Hugo). Précédé d’un pronom possessif et d’un adjectif chaleureux, il se lustre miraculeusement et gagne la sphère poétique: “Ma douce France…” Comment ne pas penser à la chanson de Charles Trenet?
En trois mots seulement, Ingrid Bétancourt aura rendu les Français fiers de l’être. En lui clamant son amour, elle aura redonné au mot nation, sur lequel potassent des armées de polars, ses valeurs originelles, positives et libertaires, héritées de 1789. “Qu’est-ce qu’une nation?” demandait Ernest Renan. “Le sentiment de vouloir vivre ensemble.” Tout est dit.
Quelques mois avant sa libération, dans une lettre adressée à ses proches, Mme Bétancourt écrivait du fond de la forêt colombienne : «Mon cœur appartient à la France. […] Quand la nuit était la plus obscure, la France a été le phare. Quand il était mal vu de demander notre liberté, la France ne s’est pas tue. […] Je ne pourrais pas croire possible de sortir un jour d’ici si je ne connaissais pas l’histoire de la France et de son peuple. J’aime la France de toute mon âme […], j’admire la capacité de mobilisation d’un peuple qui, comme disait Camus, sait que vivre, c’est s’engager. »
Et c’est en s’engageant qu’un artiste populaire a su émouvoir l’opinion sur le sort de cette prisonnière. « Nous t’attendons, Ingrid/ Et nous pensons à toi » chantait-il humblement, « Et nous ne serons libres/ Que lorsque tu le seras » (Dans la jungle, Renaud, 2005). Libérée, ces vers devinrent obsolètes tandis qu’aux yeux du monde, le destin d’Ingrid Bétancourt semblait s’être charnellement lié à celui de la France. Cette France dont les enquêtes démontrent que son image se détériore à l’étranger, étant même passée derrière l’Espagne et l’Italie parmi les destinations touristiques favorites ! Cette France dont Time Magazine, en novembre 2007, annonçait la mort de la culture… Cette France qui, au terme d’une semaine d’émissions sur CNN International («Eye on France », du 2 au 8 juin 2008) apparaît comme un petit État aligné, n’étant même plus, pour ses voisins frontaliers, le moteur de la construction européenne. On a les chansons qu’on mérite, dit-on parfois. La France n’échappe pas au proverbe. Son plus beau chant d’amour remonte à 1969. Une éternité. Quand le plus engagé des chanteurs engagés promettait : «Du printemps qui va naître à tes mortes saisons/[…] Je n'en finirais pas d'écrire ta chanson/ Ma France » (Ma France). Revenant alors d’un séjour à Cuba (d’où il avait rapporté ses célèbres moustaches), Jean Ferrat, au nom des misérables et des travailleurs, prévenait les puissants, coupables selon lui de « crimes » et d’« erreurs » : « Cet air de liberté au-delà des frontières/ Aux peuples étrangers qui donnait le vertige/Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige/ Elle répond toujours du nom de Robespierre/ Ma France ».
Mais savons-nous encore qui était Robespierre ?
Baptiste Vignol
Ma France, Jean Ferrat
La pléthore de refrains qui, depuis mai 68, a trouvé le succès en brocardant le pays, son pouvoir, son armée, sa police, son affaiblissement sur la scène internationale, laisse entendre que la France n’a plus rien de cette grande nation qui, autrefois, tout en se targuant de porter un message universel, parlait au monde et lui disait: “Nous tentons de construire chez nous une société plus juste, plus humaine et plus égalitaire.” Tranche de vie (François Béranger, 1969), J’m’en fous d’la France (Maxime Le Forestier, 1972), Hexagone (Renaud, 1975), Merde in France (Jacques Dutronc, 1985), La France (Zebda, 1990), Regarde un peu la France (Miossec, 1995), Un jour en France (Noir Désir, 1996), Jeune et con (Saez, 2001) témoignent toutes de ce postulat… Mais il faut dire que les Français n’ont pas l’âme patriotique ! Quand les Allemands, les Italiens, les Anglais, les Australiens portent leurs couleurs sur leurs t-shirts - ou leurs sacs-à-dos, très courant chez les routards –, quand l’Américain moyen les hisse dans son jardin, agiter le fanion tricolore s’avère suspicieux, emprunt d’un nationalisme nauséeux.
« Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres » disait le Général de Gaulle.
Pour parler des Français, Julien Clerc précisait, sur des mots d’Étienne Roda-Gil, issu d’une famille d’exilés espagnols : « Nous avons l’amour du nid/ Que certains appellent patrie » (Terre de France, 1974). Dix-sept ans plus tard, le nom de cette chanson prendrait racine sous la plume terreuse et contemplative de Jean-Louis Murat :« Je marche au matin/ Loin des embrunts/ Sur les terres de France/ Gorgées d’innocence… » (Terres de France).
On peut donc déduire de ces deux titres honorables le droit d’avoir la fibre française, sans céder au chauvinisme paillard d’un Michel Sardou (J’habite en France, 1970 ; Le temps des colonies, 1976 ; Ils ont le pétrole mais c’est tout, 1979; etc.) ! Pourtant, les Français se sont coupés de leurs emblèmes. N’en sommes-nous pas à siffler, dans une posture anarchisante, l'hymne patriote au Stade de France ? Si le sport a longtemps été le domaine où la passion nationaliste, l’exaltation du sentiment drapeautique, s’exprimait le plus favorablement, il cristallise aujourd’hui la crainte que ne dérivent les nationalismes. En 1973 déjà, Henri Tachan soulignait : « Ce s’rait chouette les Jeux Olympiques/ Si nom de Dieu, il n’y avait/ Leurs p’tits drapeaux/ Pour chaque nation/ Qui claquent au vent/ D’une musique militaire » (Les Jeux Olympiques).
France. Ce mot résonne encore quand il est invoqué, chanté quasiment, dans la voix d’Ingrid Bétancourt au nom de ce qu’elle n’a pas fini de suggérer, elle dont le génie “défendi[t] le droit des hommes, coutumière de tous les dévouements et de tous les devoirs…” (Victor Hugo). Précédé d’un pronom possessif et d’un adjectif chaleureux, il se lustre miraculeusement et gagne la sphère poétique: “Ma douce France…” Comment ne pas penser à la chanson de Charles Trenet?
En trois mots seulement, Ingrid Bétancourt aura rendu les Français fiers de l’être. En lui clamant son amour, elle aura redonné au mot nation, sur lequel potassent des armées de polars, ses valeurs originelles, positives et libertaires, héritées de 1789. “Qu’est-ce qu’une nation?” demandait Ernest Renan. “Le sentiment de vouloir vivre ensemble.” Tout est dit.
Quelques mois avant sa libération, dans une lettre adressée à ses proches, Mme Bétancourt écrivait du fond de la forêt colombienne : «Mon cœur appartient à la France. […] Quand la nuit était la plus obscure, la France a été le phare. Quand il était mal vu de demander notre liberté, la France ne s’est pas tue. […] Je ne pourrais pas croire possible de sortir un jour d’ici si je ne connaissais pas l’histoire de la France et de son peuple. J’aime la France de toute mon âme […], j’admire la capacité de mobilisation d’un peuple qui, comme disait Camus, sait que vivre, c’est s’engager. »
Et c’est en s’engageant qu’un artiste populaire a su émouvoir l’opinion sur le sort de cette prisonnière. « Nous t’attendons, Ingrid/ Et nous pensons à toi » chantait-il humblement, « Et nous ne serons libres/ Que lorsque tu le seras » (Dans la jungle, Renaud, 2005). Libérée, ces vers devinrent obsolètes tandis qu’aux yeux du monde, le destin d’Ingrid Bétancourt semblait s’être charnellement lié à celui de la France. Cette France dont les enquêtes démontrent que son image se détériore à l’étranger, étant même passée derrière l’Espagne et l’Italie parmi les destinations touristiques favorites ! Cette France dont Time Magazine, en novembre 2007, annonçait la mort de la culture… Cette France qui, au terme d’une semaine d’émissions sur CNN International («Eye on France », du 2 au 8 juin 2008) apparaît comme un petit État aligné, n’étant même plus, pour ses voisins frontaliers, le moteur de la construction européenne. On a les chansons qu’on mérite, dit-on parfois. La France n’échappe pas au proverbe. Son plus beau chant d’amour remonte à 1969. Une éternité. Quand le plus engagé des chanteurs engagés promettait : «Du printemps qui va naître à tes mortes saisons/[…] Je n'en finirais pas d'écrire ta chanson/ Ma France » (Ma France). Revenant alors d’un séjour à Cuba (d’où il avait rapporté ses célèbres moustaches), Jean Ferrat, au nom des misérables et des travailleurs, prévenait les puissants, coupables selon lui de « crimes » et d’« erreurs » : « Cet air de liberté au-delà des frontières/ Aux peuples étrangers qui donnait le vertige/Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige/ Elle répond toujours du nom de Robespierre/ Ma France ».
Mais savons-nous encore qui était Robespierre ?
Baptiste Vignol
Ma France, Jean Ferrat