“Il faut redoubler d’efforts pour interpeller les personnes en situation irrégulière.”
B. Hortefeux 21/08/07
“Si loin de mes antilopes/ Je marche tout bas/ Marcher dans une ville d’Europe/ C’est déjà ça” (C’est déjà ça). Quand Alain Souchon dépeignait le triste sort d’un Soudanais… C’était en 1993. On ne parlait pas alors de “sans-papiers” mais, faute du label qui bientôt ferait mouche, on ne parlait que de clandestins ; et la débâcle du bloc soviétique n’avait pas encore lancé à l’assaut de nos frontières ses cohortes de nouveaux exilés, qui deviendraient les métèques de nos cités, Roumains, Tchéchènes ou Albanais.
Amiens, 9 août 2007. Yvan, douze ans, chute du 4ème étage en tentant de fuir la police qui venait cueillir ses parents. “Nous savions tous qu’une telle politique de traque systématique ne pouvait qu’entraîner des drames, déplore l’association France Terre d’Asile. Celui d’Amiens […] ne sera pas le dernier si une telle politique se poursuit.” Une semaine plus tard, M. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, martèle le leitmotiv de sa politique : “Il faut redoubler d’efforts pour interpeller les personnes en situation irrégulière”, affirmant par là même vouloir tenir son objectif de 25 000 expulsions pour l’année 2007. L’obsession du résultat. Au risque de voir la Ligue des Droits de l’Homme reprocher au gouvernement d’“avoir oublié jusqu’aux principes éthiques les plus élémentaires.”
Qui sont donc ces gueux à renvoyer chez eux, dans des pays où l’on “te casse les dents pour un air de démocratie” (A. Souchon, C’est déjà ça) ? Des êtres humains, tout simplement, dépourvus de titre de séjour, entrés en France clandestinement, ou qui y sont restés après l’expiration d’un sauf-conduit trompeur. Tellement trompeur qu’un certain Johnny Hallyday, sur des paroles de Jean-Jacques Goldman, assurait à celui « qui vient d’un pays de sable et d’éternel soleil » : « Je voudrais que ton fils vive mieux que toi/ Qu’on le respecte mieux, qu’on le vouvoie/ […] Qu’il ait toutes ses chances, tous ses droits/ Une signature, des mains blanches, une voiture/ Et des papiers d’identité à perpétuité. » (Ton fils, 1986)
Souvenons-nous, quitte à jouer le muezzin de service, de ce qu’il adviendrait dix ans plus tard. Paris, été 96 : 300 Africains investissent l’église Saint-Bernard, défendus par des collectifs revendiquant la régularisation de leurs situations. Le mot “sans-papiers” est proclamé : il intègre le langage courant.
Souvenons-nous encore, l’indignation d’Emmanuelle Béart descendue dans la rue pour soutenir ces sans-papiers. Comment ne pas rappeler que son père, alors qu’elle n’avait pas cinq ans, (lui) chantait (peut-être) cette chanson grave et humaniste qui figure sur l'album La Vérité: “Elle est en couleur mon histoire/ Il était Blanc, elle était Noire/ […] Couleurs vous êtes des larmes/ Couleurs vous êtes des pleurs.” (Couleurs, 1968) ?
Souvenons-nous enfin des centaines de sympathisants, émus par ces gens « de couleur » justement, se relayant devant l’église pour prévenir toute intervention policière…
Depuis ces événements dramatiques, des dizaines de chansons furent écrites sur le sujet. Sur ces 200 000 malheureux à qui l’on ne sait plus quoi dire: “Ce sans-papiers rejeté/ Qui repart, sans même dire aurevoir/ Sans nous dire merci/ Pour le billet de charter gratuit/ Vers la misère de son pays./ Ça le soulagera sûrement d’apprendre,/ […] Qu’on a gravé Fraternité sur le fronton de nos mairies.” (Bénabar, Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise?, 2005) Liberté, Égalité, Fraternité. Trois mots dont Alain Souchon (décidément) avait fait une chanson parfaite: “Les paroles, elles sont faciles:/ Regarde en l’air/ Le mur de l’Hôtel de Ville/ Trois mots dans la pierre.” (La chanson parfaite, 1988)
En 2006, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur en charge de l’immigration, s’était fixé comme mission 25 000 expulsions. Objectif atteint. Nul doute que Brice Hortefeux voudra faire aussi bien. Même si, comme le relève SOS Racisme, “dans son souci d’atteindre son quota […] et de faire du chiffre coûte que coûte, le ministre de l’Identité nationale nuit gravement à la cohésion sociale en favorisant les contrôles d’identité au faciès.”
Dommage que ce monsieur n’ait jamais écouté La rue Kétanou. Ce groupe décrivait parfaitement la peur bleue qu’inspire le képi : “Il s’inquiète devant la police/ Qui contrôle les gens de sa race/ Il se souvient de la milice/ Et il regarde ses godasses.” (Le clandestin, 2001) Ça l’aurait peut-être touché !
Aux différentes associations qui l’accusent de vouloir profiter de la période estivale pour “faire du chiffre”, M. Hortefeux vient simplement de rétorquer que “la politique du gouvernement n’était pas menée en fonction des saisons.” C’est déjà ça.
Baptiste Vignol
D’autres chansons à écouter : Samba le berger Wasis Diop (1998), J’y suis, j’y reste Zebda (2002), Pour la lumièreChaque ville Tarmac (2003), Réfugié Julien Clerc (2005), Une femme étrangère Florent Vintrigner (2007)
B. Hortefeux 21/08/07
“Si loin de mes antilopes/ Je marche tout bas/ Marcher dans une ville d’Europe/ C’est déjà ça” (C’est déjà ça). Quand Alain Souchon dépeignait le triste sort d’un Soudanais… C’était en 1993. On ne parlait pas alors de “sans-papiers” mais, faute du label qui bientôt ferait mouche, on ne parlait que de clandestins ; et la débâcle du bloc soviétique n’avait pas encore lancé à l’assaut de nos frontières ses cohortes de nouveaux exilés, qui deviendraient les métèques de nos cités, Roumains, Tchéchènes ou Albanais.
Amiens, 9 août 2007. Yvan, douze ans, chute du 4ème étage en tentant de fuir la police qui venait cueillir ses parents. “Nous savions tous qu’une telle politique de traque systématique ne pouvait qu’entraîner des drames, déplore l’association France Terre d’Asile. Celui d’Amiens […] ne sera pas le dernier si une telle politique se poursuit.” Une semaine plus tard, M. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, martèle le leitmotiv de sa politique : “Il faut redoubler d’efforts pour interpeller les personnes en situation irrégulière”, affirmant par là même vouloir tenir son objectif de 25 000 expulsions pour l’année 2007. L’obsession du résultat. Au risque de voir la Ligue des Droits de l’Homme reprocher au gouvernement d’“avoir oublié jusqu’aux principes éthiques les plus élémentaires.”
Qui sont donc ces gueux à renvoyer chez eux, dans des pays où l’on “te casse les dents pour un air de démocratie” (A. Souchon, C’est déjà ça) ? Des êtres humains, tout simplement, dépourvus de titre de séjour, entrés en France clandestinement, ou qui y sont restés après l’expiration d’un sauf-conduit trompeur. Tellement trompeur qu’un certain Johnny Hallyday, sur des paroles de Jean-Jacques Goldman, assurait à celui « qui vient d’un pays de sable et d’éternel soleil » : « Je voudrais que ton fils vive mieux que toi/ Qu’on le respecte mieux, qu’on le vouvoie/ […] Qu’il ait toutes ses chances, tous ses droits/ Une signature, des mains blanches, une voiture/ Et des papiers d’identité à perpétuité. » (Ton fils, 1986)
Souvenons-nous, quitte à jouer le muezzin de service, de ce qu’il adviendrait dix ans plus tard. Paris, été 96 : 300 Africains investissent l’église Saint-Bernard, défendus par des collectifs revendiquant la régularisation de leurs situations. Le mot “sans-papiers” est proclamé : il intègre le langage courant.
Souvenons-nous encore, l’indignation d’Emmanuelle Béart descendue dans la rue pour soutenir ces sans-papiers. Comment ne pas rappeler que son père, alors qu’elle n’avait pas cinq ans, (lui) chantait (peut-être) cette chanson grave et humaniste qui figure sur l'album La Vérité: “Elle est en couleur mon histoire/ Il était Blanc, elle était Noire/ […] Couleurs vous êtes des larmes/ Couleurs vous êtes des pleurs.” (Couleurs, 1968) ?
Souvenons-nous enfin des centaines de sympathisants, émus par ces gens « de couleur » justement, se relayant devant l’église pour prévenir toute intervention policière…
Depuis ces événements dramatiques, des dizaines de chansons furent écrites sur le sujet. Sur ces 200 000 malheureux à qui l’on ne sait plus quoi dire: “Ce sans-papiers rejeté/ Qui repart, sans même dire aurevoir/ Sans nous dire merci/ Pour le billet de charter gratuit/ Vers la misère de son pays./ Ça le soulagera sûrement d’apprendre,/ […] Qu’on a gravé Fraternité sur le fronton de nos mairies.” (Bénabar, Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise?, 2005) Liberté, Égalité, Fraternité. Trois mots dont Alain Souchon (décidément) avait fait une chanson parfaite: “Les paroles, elles sont faciles:/ Regarde en l’air/ Le mur de l’Hôtel de Ville/ Trois mots dans la pierre.” (La chanson parfaite, 1988)
En 2006, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur en charge de l’immigration, s’était fixé comme mission 25 000 expulsions. Objectif atteint. Nul doute que Brice Hortefeux voudra faire aussi bien. Même si, comme le relève SOS Racisme, “dans son souci d’atteindre son quota […] et de faire du chiffre coûte que coûte, le ministre de l’Identité nationale nuit gravement à la cohésion sociale en favorisant les contrôles d’identité au faciès.”
Dommage que ce monsieur n’ait jamais écouté La rue Kétanou. Ce groupe décrivait parfaitement la peur bleue qu’inspire le képi : “Il s’inquiète devant la police/ Qui contrôle les gens de sa race/ Il se souvient de la milice/ Et il regarde ses godasses.” (Le clandestin, 2001) Ça l’aurait peut-être touché !
Aux différentes associations qui l’accusent de vouloir profiter de la période estivale pour “faire du chiffre”, M. Hortefeux vient simplement de rétorquer que “la politique du gouvernement n’était pas menée en fonction des saisons.” C’est déjà ça.
Baptiste Vignol
D’autres chansons à écouter : Samba le berger Wasis Diop (1998), J’y suis, j’y reste Zebda (2002), Pour la lumièreChaque ville Tarmac (2003), Réfugié Julien Clerc (2005), Une femme étrangère Florent Vintrigner (2007)